Avant que j’oublie : Jacques Nolot, la pudeur et l’impudeur

avant que j'oublieEn trois films très autobiographiques, Jacques Nolot s’est imposé comme un des cinéastes les plus originaux de l’homosexualité. Son dernier, Avant que j’oublie, sort en DVD.

Autofiction. Si le mot est généralement employé pour parler de littérature, il s’applique sans conteste au travail de cinéaste de Jacques Nolot. L’Arrière-pays, La Chatte à deux têtes et Avant que j’oublie, ses trois films, mais aussi les scénarios qu’il a signés pour son complice André Téchiné (La Matiouette et J’embrasse pas), «retricotent» en effet son existence dans un impressionnant mélange de pudeur et d’impudeur. Cette belle expression empruntée à Hervé Guibert résume bien ce qui se joue sur l’écran, devant la caméra de Nolot. Son passé de gigolo, son départ ado de son village du Gers, son retour des années plus tard pour assister à la mort de sa mère, sa fréquentation de cinés pornos hétéros où s’activait le ballet de la drague pédé, son goût pour les beaux maghrébins, ses amitiés prestigieuses (Barthes, Téchiné, etc.), son corps vieilli, sa solitude, sa maladie, son travail d’écrivain, sa sexualité désormais tarifée… tout cela est la chair et l’âme de son singulier cinéma. Sa force sidérante, c’est de regarder en face ce dont tant d’autres détournent le regard (la mort, le cul, la laideur, l’âge, le pathétique, la violence des sentiments, etc.), c’est de montrer ce que la plupart ne voient pas, d’abord et avant tout cette frange cachée de l’homosexualité loin des désirs d’intégration : hommes mariés venant se taper des mecs dans un ciné minable, travestis en bout de course, sexagénaires courant après leurs plaisirs enfuis, beaux militaires ou jeunes arabes cédant un instant à leurs pulsions interdites, souvenirs douloureux d’amants disparus… Le cinéma de Jacques Nolot est ainsi constitué d’images inouïes — la toilette du cadavre d’une mère, un homme plus très jeune à quatre pattes sous les assauts et les insultes d’un beau tapin, une fellation dans les chiottes d’un ciné X… — filmées sans aucune complaisance, sans aucun voyeurisme, sans une once de vulgarité, avec au contraire une authenticité et une générosité qui bouleversent. Pas besoin de mots dans ces séquences, juste des actes qui parlent d’eux-mêmes, des regards, des corps, des gestes. Les dialogues, quand ils surgissent, font comme une dissonance avec ces séquences, presque trop écrits, trop dits, face au dépouillement, au nu brut et magnifique de ce que saisit la caméra. Dans ces films qui ne ressemblent qu’à eux-mêmes, Jacques Nolot ne se contente pas d’injecter sa vie en vrac, il apporte aussi son corps d’acteur et d’homme, sa tristesse un peu ironique, son frémissement, ses faiblesses, son élégance fatiguée. Il se livre. Pudique dans l’expression de ses sentiments, impudique dans leur peinture. Comme dans cette scène qui clôt Avant que j’oublie où il accepte, sur l’ordre de son gigolo, de se travestir pour aller draguer dans un baisodrome près d’un McDo…

Un homme, un vrai

Dans la première scène, Pierre se fait enculer. Ensuite Pierre essaie d’écrire. Pierre retrouve des vieux amis, d’anciens amants, des souvenirs. Pierre perd la mémoire, perd ses moyens, perd de l’argent. Pierre c’est Jacques, Jacques c’est Nolot, auteur, acteur, réalisateur de ce film qui impressionne, et pas que la pellicule, par l’intensité de ce qu’il met en scène. La vie, la mémoire, le désir, l’ombre de la mort, la réalité du temps qui file, on en passe. Des choses essentielles, intimes, livrées là sans psychologie inutile, sans larmes, sans réticences, sans regrets. C’est à cela que l’on reconnaît un grand cinéaste, à cette capacité à s’abstraire de tout jugement, de toute notion de péché, de toute affectation exhibitionniste. Il y a du Bresson chez Nolot, dans sa rigueur un peu austère (car le cul n’est pas gai ici, même s’il n’est pas tragique non plus). Du Téchiné, vieil ami et complice, dans son goût pour une forme de romanesque sombre. Du Pasolini bien sûr, dans sa façon de se confronter sans affres à la sexualité. Et du Cocteau aussi, curieusement, tant la fin de ce film-là est une traversée du miroir pour son personnage/double. Beau voisinage n’est-ce pas, beau cousinage, dans lequel Nolot, avec son cinéma si personnel, ne dépare pas.

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