L’Invention de la culture hétérosexuelle

De Louis-Georges Tin (éditions Autrement)

L’invention de la culture hétérosexuelle… ce titre a tout l’air d’une provocation. Comment cela, «l’invention» ? L’hétérosexualité n’est-elle pas naturelle ? Dans un ouvrage érudit, passionnant et accessible, Louis-Georges Tin admet bien volontiers le caractère naturellement nécessaire des pratiques hétérosexuelles, il explique que la «culture hétérosexuelle», soit cet imaginaire omniprésent de l’amour et du couple homme-femme, est un produit historique, qui s’est peu à peu imposé en occident à partir du 12e siècle. Pour clarifier cette idée, il compare la sexualité à la nourriture. S’il est naturel et nécessaire de manger, toutes les sociétés n’ont pas développé comme en France la culture gastronomique : «la pratique alimentaire est universelle, la culture gastronomique, elle, ne l’est pas». À partir de cette idée simple, il se lance dans une archéologie de l’imaginaire hétérosexuel. On en trouve selon lui les premières traces au 12e siècle. Auparavant, le seul amour légitime était celui qui unissait deux chevaliers ; ce compagnonnage viril, qui était ou non accompagné de pratiques sexuelles, est alors relaté et exalté par les chansons et histoires populaires de l’époque. L’amour entre hommes et femmes n’est pas un sujet. Il le devient avec l’amour courtois et la littérature qui le relaie de plus en plus. L’analyse de Louis-Georges Tin est passionnante quand il démontre que le clergé, la noblesse et la médecine ont résisté à ces nouvelles sociabilités amoureuses. Les chrétiens car il sont opposés au sexe non procréatif (or, l’amour courtois s’exerce auprès d’une autre femme que la sienne) ; les nobles sont quant à eux embarrassés par la contradiction entre valeurs viriles et héroïsme d’une part et galanterie de l’autre. Quant aux médecins, ils considèrent l’amour et les sentiments qu’il provoque (mélancolie, passion…) comme des maladies. Ce n’est que progressivement que ces groupes dominants, producteurs de discours et de culture, se rallient à l’exaltation de l’hétérosexualité, non pas comme simple moyen de reproduction, mais comme norme de vie et comme pierre angulaire de chaque destin. L’Invention de la culture hétérosexuelle est le premier volume d’une trilogie que Louis-Georges Tin entend consacrer au sujet, et peut-être le premier jalon d’un nouveau terrain d’études encore inexploré : les études hétérosexuelles.

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