Homophobie à l’italienne

Gustav et Luca, deux journalistes, vivent ensemble depuis huit ans à Rome lorsqu’en 2006 Silvio Berlusconi perd les élections. La nouvelle majorité de centre gauche a dans ses cartons un projet de loi concernant les couples de même sexe, le DICO, équivalent de notre Pacs. Les deux jeunes hommes décident de filmer le processus législatif qui s’apprête à reconnaître les unions homosexuelles. Mais très vite, quelque chose dérape ; ils se rendent compte qu’une bonne partie de la classe politique -même dans la nouvelle majorité-, mais aussi l’opinion publique, et surtout l’Église et le Vatican, sont très hostiles au projet et le manifestent. Ce qui devait être la chronique d’une victoire annoncée devient celle d’un échec inéluctable, alimentant en parallèle les tensions dans le couple, dont les deux partenaires réagissent différemment à des événements qui voient le DICO enterré avant même le retour de Berlusconi au pouvoir en 2008… La belle réussite d’Homophobie à l’italienne, c’est d’être à la fois un documentaire sur un sujet politique grave et un film d’une grande drôlerie. Pour leur première réalisation, Gustav Hofer et Luca Ragazzi sont parvenus à donner un ton très particulier et personnel à leur film, mêlant éléments de leur vie privée et regards sur la société italienne, états d’âme intimes et information très rigoureuse, sans oublier ni archives télé ni morceaux de bravoure comme lorsqu’ils se glissent dans une manifestation néo-fasciste contre le DICO et interrogent certains participants. Document passionnant sur «l’exception italienne» qui fait de ce pays le seul grand État européen à n’offrir aucun statut aux couples LGBT, et sur le rôle central de l’Église dans cette situation, Homophobie à l’italienne est un modèle du genre.

 

Entretien avec Gustav Hofer, coréalisateur du film Homophobie à l’italienne

Lorsque vous avez entrepris la réalisation de votre film, imaginiez-vous rencontrer une telle hostilité au projet du DICO ?
Non, nous étions très optimistes au départ, on pensait simplement suivre l’avènement d’un moment historique pour l’Italie : la première loi sur les unions civiles ouvertes aux couples homosexuels. Mais nous avons vite déchanté et rencontré une Italie que nous ne connaissions pas. Les médias, dont les plus importants comme la Rai ou Media 7, ont présenté les homosexuels comme des martiens, en remuant les vieux clichés comme celui de l’homosexuel pédophile. Il n’y a pas de presse ou de système d’information libre en Italie, tout le monde cherche à faire plaisir au Vatican. L’engouement pour la Family Pride en témoigne : c’était la première édition de cette manifestation ; le lendemain, tous les journaux en parlaient en Une. Quelques semaines plus tard avait lieu la Gay Pride, qui a réuni autant de monde sinon plus ; elle n’a quasiment pas été relayée. Dans la foulée, le nouveau maire de Rome, Alemanno (un ancien fasciste) a interdit au défilé 2008 de passer par la place Saint-Pierre, afin que l’ «exhibition sexuelle» de la marche «n’offense personne».

Vous avez choisi la forme du journal vidéo pour votre documentaire ; vous mettre ainsi en scène est une façon de relier le combat pour le DICO à la réalité ?
Oui, les débats sur les nouveaux droits sont souvent très abstraits. Lucas et moi, qui vivons en couple depuis xxx années, sommes deux célibataires pour l’État italien. Nous avons voulu filmer notre vie normale de couple homosexuel. La télévision italienne ne diffuse que des clichés ; des homosexuels très efféminés ou alors des dépressifs suicidaires. Lorsque nous nous sommes présentés à des anti-DICO, beaucoup ont été déstabilisés : c’était la première fois qu’ils voyaient un couple de gays qui pouvait leur ressembler.

Pensez-vous que ce raidissement face à la question homosexuelle est spécifique à l’Italie ou bien touche-t-il plus largement l’Europe ?
J’ai un peu peur que l’Italie soit à l’avant-garde d’un tel mouvement (elle a souvent anticipé de tels replis dans l’histoire). Cela dit, je crois qu’il faut surtout voir cet épisode comme une leçon : dans les pays où l’égalité des droits progresse, il ne faut jamais penser que c’est définitivement acquis. Ce qui est très spécifique à l’Italie, c’est bien sûr l’intervention très forte du Vatican sur la morale publique et la politique. Le Pape actuel est particulier obsédé par l’homosexualité ; on se demande s’il n’a pas lui-même des choses à régler en la matière. Mais on observe le même raidissement sur les questions de l’avortement ou du testament biologique (sur la fin de vie). L’affaire du DICO peut-être observée comme une métaphore de la direction dans laquelle l’Italie voulait avancer : elle a manifestement fait le choix du conservatisme.

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