«Décoloniser l’imaginaire»

Le Peuple qui manque présente dans le cadre des Assises de la mémoire gay et lesbienne le film Sex series and others de David Wojnarowicz.

L’an passé, les Assises invitaient une association parisienne de «gouines, trans et pédés énervées», les Panthères roses. Cette année, dans le cadre d’une programmation dédiée à la création artistique et au genre, nous ferons la connaissance du Peuple qui manque. Il s’agit d’une structure de programmation et de diffusion de films, qui ambitionne d’être un laboratoire de réflexion autour de l’art contemporain, de la vidéo plasticienne et du cinéma. Ses deux animateurs, Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros sont à l’initiative d’événements réguliers qui ont notamment lieu à la Maison Pop’ et au cinéma le Méliès de Montreuil. Aliocha nous en dit plus sur le Peuple qui manque et sur David Wojnarowicz

Comment est né le Peuple qui manque ?
Le point de départ du peuple qui manque, aura été la création du 1er Festival de cinéma Queer, à Paris, en 2005. On terminait alors nos études de cinéma et de philosophie ; et nous découvrions alors un champ de cinéma dont nous n’avions jamais entendu parler lors de notre cursus (à part un peu dans le département danse !) : les cinémas queer et féministe. On peut dire que ces cinémas bénéficiaient du déni ordinaire que l’on attribue au cinéma politique quant à son potentiel créatif, doublé de celui que l’on attribue aux problématiques identitaires, en France. A titre d’exemple, un film comme Tongues Untied (1989) de Marlon Riggs, emblématique de ce qu’on l’on a appelé le new-black-queer cinéma, qui est régulièrement montré à l’international et a remporté de nombreux prix partout dans le monde, n’avait été projeté qu’une seule fois en France, en 1995 au Festival du Film Gay et Lesbien de Paris.

Qui est ce peuple qui manque ?
L’expression vient d’une formule que Deleuze utilise dans un de ses textes sur le cinéma politique où il envisage le cinéma comme un art de décolonisation. Au sens propre, comme au figuré : décoloniser l’imaginaire. Si nous devions lui donner un contour plus précis, nous dirions que le peuple qui manque est constitué de marginaux et de personnes issues des minorités.

Quels choix de programmation? Pour quel public ?
Pendant trois ans, nous nous sommes principalement concentrés sur le cinéma féministe et queer. Aujourd’hui, nous nous intéressons plus largement à l’art politique. On peut noter aussi que beaucoup des films que nous avons montrés ne sont pas l’œuvre de cinéastes au sens strict du terme mais plutôt celle de plasticiens, d’activistes, d’écrivains, de poètes, etc. comme par exemple Guillaume Dustan ou Kathy Acker. Des artistes plus en marges des réseaux de diffusion du cinéma habituels, ce qui explique aussi qu’ils n’aient pas souvent été montré. On accueille un public très divers, qui dépasse les cercles habituels du cinéma expérimental ou des activistes queer. Nous avons la chance d’avoir souvent beaucoup de monde à nos séances à Montreuil. On a eu jusqu’à 350 personnes pour une soirée consacrée à l’expérience-La Borde. Le directeur du Méliès de Montreuil nous a confié ne jamais avoir vu ça, même pour une avant première d’Harry Potter. Le cinéma expérimental n’est pas forcément abscons et réservé à un public d’initié !

Qui est David Wojnarowicz, dont vous présentez un film aux Assises ?
Il s’agit d’un artiste américain mort des suites du sida en 1992. Il est très certainement le premier à avoir problématiser le sida dans son œuvre, avec une démarche à la fois très politique et très créative ; il fréquentait le milieu alternatif new-yorkais et était très proche d’Act Up. La vidéo projetée dans le cadre des Assises est un montage d’une série de courts films, de trois à cinq minutes, réalisé par David Wojnarowicz et sa grande amie Marion Scemama. Dans la plupart d’entre eux, Wojnarowicz se filme lisant ses propres textes, où il est question du SIDA et de sa gestion politique pendant l’ère Reagan, de la mort, de l’homosexualité. Il s’agit pour nous d’une œuvre extrêmement forte.

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