Vivre ou survivre, faut-il choisir ?

Les leçons d’une histoire immédiate
Patrick Cardon, Auteur de Discours littéraire et scientifique fin-de-siècle. La discussion sur les homosexualités dans la revue Archives d’anthropologie criminelle du Dr Lacassagne (1886-1914) autour de Marc-André Raffalovich, Orizons, 2008. Animateur de la maison d’édition QuestionDeGenre/GKC (www.gaykitschcamp.com)

Difficile aujourd’hui de retracer l’histoire de cette journée mondiale contre l’homophobie comme si les initiateurs voulaient brouiller les pistes pour s’en attribuer les mérites. Claude Courouve, «chercheur indépendant face au conformisme militant», introduit en France le mot et le concept d’homophobie (Courouve 1977). Il faut attendre 1994 pour la création de SOS Homophobie qui n’est pour lors qu’une chambre d’enregistrement des appels à l’aide sans encore les moyens d’y répondre. L’année 1999 est une étape importante avec la promulgation du Pacs, mais surtout la ratification du traité d’Amsterdam par la France qui s’engage ainsi à lutter contre les discriminations et notamment en raison de l’orientation sexuelle. Cette année-là naît le Collectif contre l’homophobie et l’égalité des droits à Montpellier mais à compétence nationale et l’invention par les Flamands roses de Lille d’une journée contre l’homophobie. En 2004, deux moments forts sont le mariage de Bègles à l’initiative d’un élu Vert le 5 juin 2004 ainsi que l’adoption par le Parlement du projet de loi créant une Haute autorité de lutte contre les discriminations à l’initiative de Jacques Chirac (2002). Les injures et diffamations sexistes ou “homophobes” seront désormais passibles d’un an de prison et d’une amende de 45.000 euros.
En 2003, la fondation québécoise Émergence lançait l’idée d’une Journée internationale contre l’homophobie (http://www.homophobie.org). En 2005 l’idée est relayée en France par l’association IDAHO (d’origine inconnue mais anglo-saxonne d’après le sigle qui signifie International day against Homosexuality) qui n’y fait bizarrement pas référence alors que la date du 17 mai aurait été discutée entre elles. Cette année-là est lancée la première journée, soit 15 ans jour pour jour après la suppression de l’homosexualité de la liste des maladies mentales de la Classification internationale des maladies publiée par l’Organisation mondiale de la santé, à savoir le 17 mai 1990.

Les premiers financements pour les manifestations culturelles LGBT furent apportés par le Ministère de la santé. Il s’agissait de tenter de construire une communauté informative et de trouver des partenaires pour la prévention sida. Ensuite, ces fonds se sont recentrés sur des organismes de pure prévention ou/et médicaux. L’homosexualité n’était plus une maladie et le sida n’était plus une épidémie. Les manifestations purent alors bénéficier alors des fonds des délégations des droits de l’Homme et de la citoyenneté. Il s’agissait moins d’inciter au mieux-vivre des populations LGBT pour qu’elles pensent à se protéger que de faire en sorte qu’elles ne subissent plus les discriminations (nous n’en sommes pas encore à l’égalité des droits qui caractérisent des pays frontaliers comme l’Espagne et la Belgique). De l’enjeu strictement sanitaire et médical, on est passé à l’enjeu juridique. Il n’est plus possible d’accuser les homosexuelLEs de prosélytisme sous peine de se voir taxer d’homophobe. Le style de vie gay et lesbien est devenu légitime.

Mais autant était pesante l’obligation de se conformer aux politiques des Directions départementales des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS), autant il est pesant aujourd’hui de ne concevoir ces styles de vie que sous l’angle de l’homophobie. La philosophie originelle de la Journée Internationale était, selon le président d’Émergence de «ne [pas] être construite sur une philosophie de «victimisation». Au contraire, cette journée doit être une occasion de travailler avec les aspects positifs de l’homosexualité et mettre en valeur la contribution positive des gais et des lesbiennes dans la société». Or, la tendance générale en France est surtout de restreindre à la victimisation, seul moyen pour apitoyer et surtout être «protégé». Cette protection ne peut pas aboutir à une acceptation. Elle n’aboutira qu’à une tolérance, celle que Pasolini trouvait intolérable et à une indifférence mortelle. Soyons vigilants sur le fait qu’on ne nous entraîne pas à édifier nous aussi des murs comme dans certains pays ou certains zoos. Des murs qui seuls finiraient par subsister car derrière, il n’y aurait plus ni de vie ni d’espoir, c’est-à-dire moins de culture et plus de morts-vivants. Le droit n’intervient que lorsque la confiance n’existe plus. Les communautés LGBT ont le droit à des fonds culturels autant qu’à des fonds biaisés (maladie, discrimination), qu’ils soient publics ou privés. Trop peu de gens réclament l’entrée à l’Université des études LGBT et encore moins des centres d’archives et de documentation tel qu’il en existe à Lyon. Pourtant la culture historique serait une sacrée prévention de vie… et non seulement… de survie. Protéger n’est pas étouffer.

Claude Courouve (1977), “L’homophobie, maladie sociale”, in Les Homosexuels et les autres l’Athanor, Paris, 1977, pp. 38-45.

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.