Du rose dans les bulles

21_RoseBulles-janvier2010Comme pour se venger de la faible représentation des homos dans la BD, les fans revisitent les classiques.

Quand on est un adolescent homo amateur de bandes dessinées, rares sont les ouvrages qui répondent totalement à son désir d’identification. Les projections peuvent alors aller bon train. Qui ne s’est jamais laissé aller à fantasmer sur la sexualité du minet Tintin ou du blondinet Alix ? Sur les blogs et revues de fans de BD, les relectures homos des classiques fleurissent. Il n’y a peut-être guère plus que le couple des Bidochons de Binet pour échapper à toute ambiguïté.

 

Les aventures de Tintin

«Bien sûr que Tintin est gay. Demandez à Milou», titrait en janvier 2009 l’ancien député britannique Matthew Parris dans une tribune du Times listant méthodiquement les indices de l’homosexualité du héros d’Hergé. Comment croire à l’hétérosexualité d’un reporter aux traits androgynes, vivant dans une maison de campagne avec un marin moustachu ? Un rapide passage en revue des différents personnages de Tintin semble renforcer la thèse du journaliste. Bianca Castafiore ? Le seul personnage féminin récurrent, une diva milanaise, plus icône gay tu meurs. Dupont et Dupond ? Un flamboyant couple homo toujours attifé des vêtements les plus excentriques. Il n’y a bien que Milou pour représenter une hétérosexualité sans équivoque. La controverse a pris une relative ampleur sur Internet, où la recherche sur Google des termes «Tintin Gay» fait apparaître pas moins de 63 400 résultats. Le blogeur «Capitaine Haddock» tente dans un billet relayé par Lepost.fr d’infirmer les allégations de Matthew Parris. L’androgynie de Tintin s’expliquerait selon lui par le désir d’Hergé de rendre son personnage plus universel. «Comment une petite fille pourrait-elle se reconnaître dans Tintin si Tintin portait une barbe et des favoris?» note le blogeur. Concernant la quasi-absence des femmes dans la BD d’Hergé, il le justifie par le contexte d’écriture de la série : «à l’époque, représenter des femmes ou pire encore des élans amoureux était impitoyablement frappé de la censure, la faute à la terrible loi belge sur les publications pour la jeunesse. N’oublions pas que Tintin a démarré dans un hebdo catholique, et que comme pour les séries de Monsieur Dupuis, elles doivent avant tout être éducatives, bon enfant et divertissantes». Un argument que vient confirmer le psychologue Serge Tisseron (Le Figaro, 9 janvier 2009): «récupérer Tintin du côté homosexuel, c’est quelque part une belle vengeance pour un homosexuel. Seulement voilà, dans les aventures de Tintin la dimension sexuelle est totalement absente. Tintin est une créature dont le sexe n’est jamais défini. Attention à ne pas se lancer dans une lecture gay de l’oeuvre d’Hergé. Je le rappelle, l’homosexualité, c’est le choix d’une pratique sexuelle explicite».

Outings en série

Tintin n’est pas la seule icône de la BD à se faire “outer“ par ses fans gays. Ainsi, le blogeur Vignale émet des doutes sur la chasteté des relations entre… Astérix et Obélix ! Il rappelle que les deux acolytes sont des vieux célibataires, «davantage portés sur la cervoise que sur les filles». Et puis Astérix n’est-il pas furieusement queer, avec «ses petites tresses joliment mises en pli et ses manières un peu précieuses pour l’époque de la Gaule» ? Du côté des Schtroumpfs, certains exégètes parient sur l’homosexualité du Schtroumpf coquet. «Connaissez-vous un Schtroumpf qui ait un sens artistique aussi développé ? Il est à lui-même le cliché type de l’homo, préférant la couture et la décoration aux jeux des Schtroumpfs», avance Fred du blog Gayromandie. La liste de ce type d’interprétations est encore longue. C’est peut-être Alix, le héros de Jacques Martin, qui provoque le plus de doutes sur sa sexualité, en raison notamment de son amitié fusionnelle avec le jeune Enak. Lorsqu’on lui soumet ces interrogations, l’auteur botte en touche : «c’est au lecteur de réagir selon sa sensibilité parce que Alix et Enak sont à mon sens, des archétypes du monde antique. Toutefois dans les images de mes albums, il n’y a aucune vignette provocatrice et rien n’indique qu’ils aient des rapports intimes» dit-il en 2004 dans une interview avec Christophe Fumeux. Mais cette récupération plus ou moins justifiée des classiques de la BD masque la rareté des publications explicitement homo pour le grand public. Lors d’une table ronde consacrée au thème des «gays dans la BD» au dernier festival d’Angoulême, Jean-Paul Jennequin fait le constat de la quasi-absence des personnages «mainstream gay», constat qui l’a conduit à créer l’association LGBT BD. Son but : «faire que les gays soient aussi présents dans la bande dessinée que dans la réalité». Les membres du débat n’oublient pas de rappeler qu’historiquement, la bande dessinée grand public est destinée à la jeunesse : beaucoup de personnages de BD sont avant tout asexués. Jennequin note cependant que dans les années 1970, la bande dessinée est sortie de son carcan de publication pour enfants, pour voir une multitude de personnages féminins faire leur apparition, confirmant que les héros des BD étaient bien hétérosexuels. Il reste du chemin à faire pour que la BD sorte définitivement du placard.

Garçons nippons

Les représentations de l’homosexualité dans la bande dessinée occidentale ne sont pas si fréquentes. Et si le salut de la BD gay venait du Japon ? Au pays du Soleil Levant, les mangas à connotations homoérotiques ou homosexuelles font l’objet d’un genre spécifique : le yaoi, qui n’est pas forcément un hentaï (manga pornographique). Dans son pays d’origine, le lectorat du yaoi est essentiellement féminin, mais il commence à se répandre en Occident auprès des homosexuels masculins. Depuis juillet dernier, les fans français de yaoi ont même leur magazine, le bimestriel BExBOYS (disponible en libraire uniquement). Lancé dans l’Hexagone dans un contexte difficile pour les éditeurs de mangas, confrontés à une très rude concurrence sur le net, ce nouveau venu fait le pari de proposer en prépublication neuf histoires yaoi, avant leur parution chez l’éditeur japonais Libre Publishing. Le tout est vendu à un prix qui se veut attractif (4,95€ pour près de quatre cents pages de mangas) avec pour objectif affiché de faire découvrir à un nouveau public un genre qui peut de prime abord sembler hermétique aux profanes, avec sa codification extrême (présente aussi bien dans le dessin que dans l’intrigue ou les personnages) et son vocabulaire spécifique.

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