«Le sida tue toujours»

Safia Soltani et Stéphane Vambre assurent une coprésidence mixte à Act Up-Paris : une femme, un homme ; une hétéro, un homo ; une séronégative, un séropositif.

Pouvez-vous nous citer quelques revendications concrètes portées par Act Up-Paris auprès des pouvoirs publics ?
Safia Soltani : Nous revendiquons par exemple des salles de consommation pour les usagers de drogues et nous demandons au gouvernement de stopper sa politique sécuritaire du tout répressif en ce domaine qui aboutit à une catastrophe sanitaire : alors que le nombre de contaminations chez les usagers de drogues était en très forte baisse, il commence à remonter. On réclame aussi évidemment plus de financements pour la recherche contre le VIH…
Stéphane Vambre : Nous protestons également contre l’absence de campagne de prévention, et ce depuis plusieurs années. Ce qu’on voudrait, ce sont des campagnes explicites, pratiques, qui montrent clairement ce qu’est une pratique à risque et comment on attrape le VIH, et non pas des campagnes de prévention complètement absurdes, où l’on ne mentionne même pas le préservatif. On oublie le message principal : le sida tue toujours. Aujourd’hui, en France, 200 000 personnes sont touchées par le VIH, et 8 000 personnes meurent chaque jour dans le monde. Et on fait comme si tout était réglé.

Quelles sont aujourd’hui selon vous les raisons des blocages qui empêchent une meilleure approche publique de la pandémie ? Est-ce qu’il s’agit de barrières morales, d’intérêts financiers ?
S.S. : Les intérêts financiers entrent en jeu de façon indéniable. Il y a des essais actuellement sur un traitement prophylactique pré-exposition, une trithérapie qu’on s’administrerait quelques heures avant une prise de risque, par exemple avant un rapport non-protégé, et qui permettrait de réduire le risque de contamination. Mais n’est-ce pas aussi un moyen pour eux de s’attirer une nouvelle clientèle, alors qu’on sait que seul le préservatif offre une protection efficace et sans effets secondaires contre le virus ? Il y a encore également des barrières morales qui persistent, notamment dans l’approche des usagers de drogues. On le voit bien quand on nous refuse les salles d’accueil que nous demandons, ou quand la France s’engage dans une politique du tout répressif alors que la politique européenne sur la question consiste plutôt en une prise en charge socio-médicale (qui par ailleurs donne plutôt de bons résultats) et que même les États-Unis ont baissé les bras dans la «guerre contre la drogue» ! Pendant ce temps-là, chez nous, on en vient à harceler les usagers qui se rendent dans les centres du programme d’échange de seringues, au risque de faire repartir en flèche les contaminations dans cette catégorie de la population.
S.V. : On est encore très loin de l’acceptation du VIH. Même si la maladie est identifiée depuis vingt-six ans, elle reste dans l’esprit du grand public une maladie honteuse, qui touche essentiellement les pédés, les prostituées et les usagers de drogues. Le sida est une maladie qui s’attrape dans la majorité des cas par voie sexuelle, donc il reste un tabou. On le voit bien avec les discriminations persistantes qui frappent les séropositifs au travail ou dans le cadre familial. Or, sur les 200 000 personnes touchées en France, il y a quand même 60% d’hétérosexuels, dont des femmes, et ces catégories-là ne sont pas touchées par la prévention.

Act Up-Paris a toujours revendiqué un militantisme d’avant-garde, souvent radical, à l’opposé de la recherche du consensus. Pourquoi ce choix ?
S.S. : Pour être entendu il nous a fallu crier fort et haut qu’on ne voulait pas mourir et qu’il fallait sérieusement s’occuper de la question du VIH en France. C’est une stratégie qui s’est avérée gagnante puisque aujourd’hui nous sommes invités aux concertations sur cette question, alors que ce n’était pas le cas avant. C’est vrai que parfois cela a pu nous porter préjudice, mais la comparaison entre les risques encourus et les bénéfices retirés joue clairement en faveur de ce type d’actions, surtout si l’on pense à tous les combats gagnés par Act Up depuis vingt ans.
S.V. : Nous avons aussi repris les méthodes déjà utilisées par Act Up New York, sur le modèle duquel a été créé Act Up-Paris. Ces méthodes étaient alors nouvelles en France : lorsqu’on interviewait un malade, c’était souvent de manière anonyme, et ceux qui se sont engagés dans Act Up ont cherché à faire changer le discours sur le sida. Avant de descendre dans la rue, on cherche toujours d’abord à rencontrer les responsables politiques ou de l’industrie pharmaceutique. Ces actions spectaculaires sont toujours très efficaces, mais ne constituent que la partie immergée de l’iceberg : derrière, il y a aussi un travail de fond réalisé par chacune de nos commissions, une expertise, des publications…

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