Le mufti gay-friendly

Soheib Bencheikh, ancien grand mufti de Marseille, ex-membre du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), dirige actuellement l’Institut Supérieur des Sciences Islamiques, basé à Marseille. À rebours des prêches islamistes dénonçant l’homosexualité comme une abomination et une dépravation morale importée de l’Occident, il fait partie de ces voix, trop souvent couvertes par les vociférations des intégristes, qui prônent un islam tolérant, loin des clichés et des fantasmes.

Que dit l’islam sur l’homosexualité ?
Quasiment rien : ce thème y est pratiquement inconnu. Le Coran n’en parle pas, hormis dans un passage très succinct et repris de la Bible où il est question de Lût et de Sodome ; et encore, le récit se contente de réprouver l’«immoralité» des habitants de Sodome, sans préciser quelles sont leurs pratiques. Seuls les hadiths (paroles de Mahomet, NdlR) affirment que le Prophète aurait condamné la pratique homosexuelle, mais leur fiabilité est beaucoup plus incertaine que celle du Coran : ce sont en effet des adages qui ont été attribués au Prophète entre un siècle et demi et deux siècles et demi après sa mort, et qui sont donc influencés par une théologie déjà établie et une morale déjà construite.

Selon vous, il ne faut donc pas se référer à la charia, qui prévoit la mise à mort des homosexuels ?
La charia n’est pas une loi divine et immédiatement applicable ; elle relève d’un travail humain, et non de Dieu. C’est une œuvre de déduction et d’intuition qui s’inspire du Coran mais également d’autres sources humaines et naturelles, y compris l’usage, l’intérêt… C’est un mot générique qui qualifie une intention : celle d’être en conformité avec une éthique ou une loi selon sa foi. Mais la charia n’est codifiée nulle part. C’est forcément une interprétation, car en dehors du Coran, tout ce que nous savons est le produit de l’intelligence et de la réflexion humaines. Ce que vous mentionnez relève en vérité du droit musulman tel qu’il a été défini par l’une ou l’autre des grandes écoles de l’islam : hanafite, malékite, hanbalite, chaféite, etc. Ces écoles s’inscrivent dans un contexte historique et social qui est celui d’une société tribale et clanique. L’ennui, c’est que musulmans comme non-musulmans distinguent peu ces différentes conceptions que sont la charia, le droit musulman, la jurisprudence… Il est exact que le droit musulman condamne très sévèrement la pratique homosexuelle, mais en se fondant sur quoi ? Sur rien, ou presque.

Il n’y a donc pas de contradiction entre le fait d’être musulman et celui d’être homosexuel ?
Bien sûr que non : on peut tout à fait être à la fois homosexuel et musulman, jouir de tous les droits et s’acquitter de tous les devoirs d’un croyant.

Pourquoi alors les intégristes développent-ils un rejet aussi violent de l’homosexualité ?
En raison de la société patriarcale et du machisme qui prévalent sur les deux rives de la Méditerranée, aussi bien chez les Siciliens que chez les Algériens. Toutefois, l’homosexualité active est presque tolérée dans l’usage, en tout cas mieux considérée que l’homosexualité passive.

Quelle serait alors votre propre interprétation, en tant que théologien, des rapports entre homosexualité et islam ?
Pour moi, le fait que le texte ne dise rien, ce silence de Dieu, est en soi une législation au même titre que les commandements. Dieu est sensé être omniscient, et le Coran est décrit comme le livre qui n’a rien oublié. Ce n’est donc pas pour rien qu’il ne parle pas d’homosexualité : s’il ne la mentionne pas, ce n’est pas aux hommes de l’interdire. De surcroît, contrairement à une certaine tradition chrétienne, qui voit d’un mauvais œil la pratique sexuelle, l’islam précise que l’accomplissement du désir sexuel participe à l’équilibre de l’être. J’estime donc que cette question de l’homosexualité ne concerne ni le théologien ni le juriste, qui n’ont pas à s’intéresser à l’intimité des êtres ou à ce qui se passe dans leur chambre à coucher.

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