État de trans

Pour obtenir un changement d’état civil, les personnes transgenres doivent impérativement subir un changement de sexe. Mais, sous l’impulsion des institutions européennes notamment, des évolutions importantes se profilent.

Le 23 octobre, avait lieu à Paris la quatorzième édition de l’Existrans, une grande «marche des trans et de celles et ceux qui les soutiennent». Ce rassemblement, initié en 1997, a réuni cette année 500 personnes selon la police (1 500 selon les organisateurs) et avait pour mot d’ordre «l’identité de genre nous appartient, notre liberté de choix ne se négocie pas !». Parmi les principales requêtes portées par les manifestants, figurait la demande d’un changement d’état civil simplifié. Depuis quelques mois, cette revendication est en effet au cœur de l’agenda et de l’actualité trans. Loin d’être une simple formalité administrative, le changement d’état civil des personnes trans peut en effet prendre deux à trois ans et représenter une dépense considérable en raison des frais d’avocat (entre 1 500 et 3 000€ minimum). En septembre dernier, c’est une militaire transgenre de quarante ans, Delphine Ravisé-Giard, secrétaire nationale de l’association Trans Aide, qui s’est vu refuser pour la seconde fois son changement d’état civil par la cour d’appel de Nancy : celle-ci a considéré que la requérante (qui est encore “Thierry“ pour l’état civil) «ne justifiait pas du caractère irréversible de sa transformation physique homme-femme et notamment sexuelle». Delphine Ravisé-Giard (qui suit un traitement hormonal) avait en effet refusé de se faire opérer comme le lui avait demandé la cour d’appel de Nancy en première instance. Or, depuis dix-huit ans, le changement de sexe est un préalable indispensable au changement d’état civil selon le droit français. Les associations trans estiment que ce préalable équivaut à une stérilisation forcée et demandent qu’il soit levé, en s’appuyant notamment sur une recommandation faite en juillet 2009 par le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Suédois Thomas Hammarberg. Pour celui-ci, «les personnes qui souhaitent faire reconnaître leur identité de genre ne devraient pas être obligatoirement soumises à une stérilisation ni à aucun autre traitement médical».

L’Europe au secours des trans ?

Ce n’est pas la première fois que les institutions européennes favorisent l’avancement de la cause trans dans notre pays. En 1992 déjà, la Cour européenne des Droits de l’Homme avait contraint la France à modifier en profondeur sa politique à l’égard des trans en s’appuyant sur l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Depuis cette date, les Français transidentitaires peuvent obtenir un changement d’état civil s’ils subissent une ablation de leurs organes génitaux d’origine, ce qui n’était pas le cas auparavant. Récemment encore, la résolution 1728 du Conseil de l’Europe (adoptée le 29 avril dernier) rejoignait la position d’Hammarberg en demandant à son tour que l’opération de changement de sexe ne soit plus un préalable au changement d’état civil. Le gouvernement français saura-t-il prendre en compte cet avis ? Répondant à une question du sénateur socialiste de Paris Roger Madec, la ministre de la Justice et des Libertés Michèle Alliot-Marie précisait en avril dernier qu’à ses yeux, «l’opération de réassignation sexuelle ne doit pas être systématiquement exigée». Il ne s’agit là pour l’instant que d’un avis de la garde des Sceaux qui n’a pas encore trouvé de traduction législative concrète, mais Trans Aide veut y voir un signe encourageant, et même «une avancée sans précédent».

Le parcours du combattant d’un trans lyonnais

Xavier, professeur d’anglais et doctorant en littérature, est ce qu’on appelle un FtM : un homme transsexuel qui effectue actuellement une transition depuis un corps de femme jusqu’à un corps d’homme. Un processus long et difficile, entamé il y a quatre ans, qui s’est traduit notamment par une hystérectomie totale (ablation de l’utérus et du col de l’utérus) et une mammectomie (ablation des seins). Malgré ces opérations chirurgicales très lourdes, pour l’état civil, il est toujours “madame“, ce qui le contraint notamment à enseigner sous son identité féminine (malgré une apparence et une voix masculines) et à se justifier quotidiennement pour prouver qu’il n’usurpe pas l’identité d’une femme. C’est pour mettre fin à cette situation devenue impossible à vivre qu’il formule à l’automne 2009 une demande de changement d’état civil auprès du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Lyon. Mais la procédure est suspendue depuis septembre dernier aux résultats d’expertises médico-psychologiques décrites par les associations de défense des trans comme «fondées sur des critères absurdes et humiliants, comme par exemple vérifier qu’un homme transsexuel ne s’épile pas ou bien est capable de faire des pompes. Ces expertises sont également à la charge de Xavier et atteignent un montant de 800 euros». À leurs yeux, il s’agit bien souvent d’expériences traumatisantes : «certains témoignages parlent même de viol légal». Pour les associations, cette décision est d’autant plus incompréhensible que le ministère de la Justice a émis, le 14 mai dernier, une circulaire appelant les tribunaux à ne plus procéder à de telles expertises en estimant que «cette exigence s’avère /…/ souvent inutile, en raison des nombreux rapports et documents médicaux devant être fournis par le requérant». En effet, Xavier, comme tous les trans souhaitant changer d’état civil, a précédemment fourni au tribunal un dossier déjà fort épais, comprenant notamment des témoignages de son entourage, des attestations médicales, des comptes-rendus opératoires, des photos… Pour le TGI, ce n’est pas assez pour déterminer qu’il souffre d’un «syndrome de transsexualisme», mais pour Xavier et les associations qui le soutiennent (à commencer par Chrysalide, dont il est membre), c’est déjà trop. Elles demandent donc que le TGI s’en tienne aux recommandations du ministère. Mais celles-ci n’ont aucune valeur contraignante et le TGI n’a donc pas d’obligation légale de les suivre. Faute de recours juridique possible pour contester la décision rendue, les militants associatifs ont écrit une lettre au procureur de la République et espèrent le rencontrer prochainement pour lui faire valoir l’inutilité de sa requête. Quant à Xavier, il s’est d’ores-et-déjà résolu à se soumettre à ces expertises car il n’aurait pas les moyens de faire appel d’un refus du TGI de lui accorder un changement d’état civil.

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