Bruno Spire, président de AIDES, juge le Plan de lutte contre le sida 2010-2014

Bruno Spire est, depuis juin 2007, président de AIDES, l’une des principales associations françaises de lutte contre le sida.

Pour AIDES, quelles sont les avancées du plan de lutte contre le sida 2010-2014 ?
Ce plan, on le trouve globalement bien fait et ambitieux. Nous y avons contribué de façon constructive en veillant à ce qu’il inclue nos propositions et nos idées, en particulier celle selon laquelle on peut aujourd’hui avoir un impact sur l’épidémie à travers des mesures de santé publique. Avec l’aide de la science, on peut diminuer l’incidence du VIH si on s’en donne les moyens, notamment grâce à un changement d’approche apparu il y a deux ans : on n’oppose plus prévention et traitement comme on le faisait auparavant. Nous continuons bien sûr à promouvoir le préservatif, mais en explorant en parallèle d’autres pistes. On sait aujourd’hui que les séropositifs traités efficacement ont beaucoup moins de risques de transmettre le virus. Accélérer l’accès au dépistage et au traitement après une contamination permet donc de réduire l’ampleur de l’épidémie. C’est là-dessus que repose la logique du plan : tout faire pour que les personnes qui ne connaissent pas leur statut sérologique se fassent dépister. Ce n’était pas gagné d’avance : au départ, nous n’avions qu’une série de petites mesures techniques à laquelle il manquait cette grande ligne directrice.

Le plan propose un dépistage étendu et systématisé, mais pas obligatoire. Cette dernière mesure aurait-elle un sens pour vous ?
Lorsqu’un dépistage est déjà systématiquement proposé (comme pendant la grossesse), en principe les personnes peuvent le refuser, mais en pratique elles l’acceptent à partir du moment où on leur explique qu’il est dans l’intérêt de chacun de connaître son statut sérologique. Toute obligation serait contre-productive. Il vaut mieux donner envie aux gens de se faire dépister et c’est là tout le rôle des associations de lutte contre le sida. C’est pourquoi on a besoin d’une politique de santé qui soutienne les associations communautaires.

Vous êtes donc satisfaits de l’action du gouvernement en matière de lutte contre le sida ? 
Ce plan comporte également des limites. Sur la question des migrants par exemple, il indique clairement que, pour faire ralentir l’épidémie, tout le monde doit avoir accès aux soins. Mais en pratique, au moment même où le plan est dévoilé, des amendements votés à l’Assemblée nationale à l’initiative du gouvernement instaurent un droit d’entrée de trente euros à l’Aide Médicale d’État (AME) pour les étrangers. Cette mesure va retarder leur prise en charge médicale. Pire encore, le droit au séjour des étrangers soignés en France est remis en cause : certains risquent donc d’être expulsés faute de papiers vers des pays où ils n’auront pas accès aux soins. On transforme ainsi en clandestins toute une partie de la population séropositive à laquelle il faudrait au contraire donner envie de se faire soigner, ne serait-ce que pour éviter qu’elle ne contamine d’autres personnes. Il y a donc là une contradiction manifeste entre les objectifs de ce plan et le volet sécuritaire de la politique gouvernementale. Un autre aspect de l’épidémie très peu abordé dans le plan, c’est la question de l’accès à des seringues propres dans les prisons, une mesure réclamée depuis des années par les associations, les chercheurs et les experts. Cette question est totalement taboue et on n’arrive pas à avancer sur ce sujet. On nous répond systématiquement que les pratiques d’injection n’existent pas en prison, ce qui est totalement faux. Cela montre que, même si on arrive à faire pression sur le ministère de la Santé, la question du sida ne se limite pas, loin s’en faut, à ce seul domaine. Et dès qu’on est dans des champs “hors santé“, on se heurte à des murs idéologiques.

Les résultats de l’essai international iPrEx sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP) ont été rendus publics fin novembre. Qu’en retenez-vous ? 
Ces résultats montrent une efficacité relativement modérée (44%), mais quand on les regarde plus finement, on s’aperçoit que la principale raison de l’échec de la PrEP, c’est que le traitement n’était pas pris. Si l’on ne considère que les personnes effectivement sous traitement, on atteint 60% d’efficacité. Il faut donc trouver une autre façon d’utiliser la PrEP, par exemple avant une prise de risque, ce qui sera sans doute plus acceptable. Pour l’instant, on manque encore de connaissances sur le sujet et il faut continuer la recherche. Mais à l’heure actuelle, je pense qu’il est trop tôt pour se prononcer “pour“ ou “contre“.

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