Clint friendly

Un affreux réac, Clint Eastwood ? La question taraude la critique depuis qu’il a été découvert en cow-boy macho et vengeur dans Pour une poignée de dollars (1964) ou L’Homme des hautes plaines (1973). À sa sortie en 1971, L’Inspecteur Harry est qualifié de “film à potentiel fasciste” par The New Yorker, tandis que l’acteur et cinéaste s’affiche quelques années plus tard aux côtés du président républicain Ronald Reagan. Mais, en maitre de l’ambivalence, Clint Eastwood a parfois montré un visage moins conservateur, ouvert par exemple aux minorités raciales dans Un frisson dans la nuit (1971), Million Dollar Baby (2004) ou Gran Torino (2008). L’expression de sa sensibilité progressiste atteint sans doute un point culminant avec son dernier opus, J. Edgar, un biopic consacré à John Edgar Hoover, ultra-réac directeur du FBI durant près d’un demi-siècle. Il aurait été aisé pour Eastwood de jeter un voile pudique sur l’homosexualité supposée de son personnage en se concentrant sur sa dimension politique. Après tout, rappelons que son orientation n’est l’objet d’aucune certitude. On sait néanmoins qu’Hoover ne s’est jamais marié et a vécu avec sa mère jusqu’à ce qu’elle meure. On connaît également sa relation fusionnelle avec Clyde Tolson, le numéro deux du FBI. Les deux acolytes déjeunaient et dînaient ensemble presque tous les jours. Quand J. Edgar Hoover mourut, il légua tout ce qu’il possédait à Tolson. La question de ce couple atypique, Clint Eastwood choisit de l’aborder de front. Pas question bien sûr pour lui de mettre en scène des étreintes torrides entre les deux hommes, façon Le Secret de Brokeback Mountain. Eastwood filme cette relation telle qu’elle devait sans doute être : une amitié amoureuse un peu refoulée. Avec J. Edgar, c’est sans doute l’une des premières fois que l’on peut voir le cinéma hollywoodien mettre en scène l’intimité d’un couple de personnes âgées du même sexe. On suit Clyde et Edgar dans l’épreuve de leur déclin physique, impitoyables l’un envers l’autre, mais amoureux jusqu’à leur dernier souffle. Le film représente donc un pas de plus, un pas important, vers la banalisation de l’homosexualité dans le cinéma grand public américain. Et, contre toute attente, Eastwood fait preuve ici d’une belle audace de cinéaste gay-friendly.

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