jefferey jordan sur la corde sensible

Jefferey Jordan : «les gays ont une forte capacité à rire des stéréotypes»

Le jeune humoriste lyonnais Jefferey Jordan présente actuellement un spectacle dans lequel il incarne un garçon sensible… qui sait aussi parfois se montrer délicieusement cruel.

120320_120129..multimediaarticles12012620interviewim1Quand vous est venu le goût de la scène ?

Jefferey Jordan : À 15 ans, j’ai vu le spectacle de Muriel Robin et ça a été le déclic. À 17-18 ans, j’ai commencé à écrire beaucoup de sketchs et puis, j’ai posté les premières vidéos sur Internet avec Kristof (son comparse au sein du duo Les Distingays, NdlR). C’est à cette époque qu’est né le pseudonyme de Jefferey Jordan. Puis est venu un premier spectacle, Zéro Défaut, qui s’est joué en juin 2011 et qui a depuis connu un très bon parcours, en évoluant énormément, à tel point que son titre a changé et qu’il s’appelle depuis Sur la corde sensible. À l’origine, il était écrit pour deux, et puis Kristof a renoncé à monter sur les planches et a préféré superviser le spectacle.

Que devient alors le duo que vous formiez avec Kristof, Les Distingays ?

Jefferey Jordan : À l’heure actuelle, il n’existe plus, parce que nous n’avons plus envie de le faire vivre et aussi parce que nous n’avons pas le temps d’écrire des sketchs tous les mois. On préfère travailler plutôt sur le spectacle, sur lequel Kristof a conservé un droit de regard. Il est plus âgé que moi et cela m’a permis de faire mûrir certains textes, d’attirer un public dont la moyenne d’âge se situe entre 35 et 40 ans. À tel point que les gens sont souvent surpris de me voir interpréter sur scène un personnage plus âgé et qu’ils me demandent régulièrement mon âge.

Vous revendiquez donc pleinement un certain décalage entre vous-même et le personnage que vous jouez sur scène ?

Jefferey Jordan : Oui, totalement. C’est ce qui permet au public d’accepter ce qui est dit dans le spectacle et qui est souvent assez méchant, à base d’humour noir.

À propos d’humour noir, on entend souvent qu’on ne peut plus rien dire de nos jours ; est-ce qu’il arrive effectivement que le public réagisse mal à vos sketchs ?

Jefferey Jordan : J’ai participé l’an dernier à mon premier festival d’humour, à Nevers, sans savoir qu’il était parrainé par le Téléthon et qu’une bonne partie de l’assistance serait composée de personnes handicapées. Les personnes handicapées, justement le thème d’un des sketchs que j’avais prévu de jouer… Pas un sketch méchant, plutôt fondé sur des jeux de mot, à partir de situations extrêmes, comme celle de ces gens qui naissent sans bras.

C’est cinq minutes avant de monter sur scène, en constatant que les trois premiers rangs étaient uniquement garnis de personnes en fauteuil roulant, que j’ai réalisé les risques que je prenais. J’ai demandé à l’organisateur si je pouvais changer de sketch au dernier moment, mais il m’a assuré que le public était ouvert d’esprit et savait rire de tout. Résultat : ça s’est très mal passé, des gens sont venus m’engueuler dans ma loge après le spectacle… Mais le festival m’a recontacté malgré cela ; au moins, les spectateurs auront eu un bon aperçu du genre d’humour qui est le mien.

Quelle est la place de l’écriture dans le spectacle ?

Jefferey Jordan : J’ai toujours sur moi un petit carnet où je note toutes les idées qui me viennent à l’esprit, même si ensuite elles n’intégreront pas forcément le spectacle. Une fois le texte écrit, je le récite tout seul chez moi ; ensuite je le joue phrase par phrase, en travaillant beaucoup les intonations, la ponctuation. Beaucoup de choses se jouent là-dessus, des détails, des virgules… J’essaie aussi de rester naturel : si une phrase me paraît incongrue, si je me rends compte que je ne parlerais jamais comme ça dans la vie de tous les jours, je modifie le texte. Mais c’est le comique de situation que je préfère. Je ne fais pas du stand-up, je m’adresse très rarement au public.

Pensez-vous qu’on puisse parler d’un «humour gay» comme on parle d’humour juif ou d’humour anglais ?

Jefferey Jordan : Je ne sais pas, mais je pense qu’il existe chez les homos une capacité très forte à rire d’eux-mêmes et des stéréotypes ; les sketchs où je parle d’homosexualité sont d’ailleurs parmi les mieux reçus par le public gay.

 

www.jeffereyjordan.jimdo.com

 

 

Critique

Les nostalgiques de feu Les Distingays, le duo de charme formé entre 2009 et 2010 par Jefferey Jordan avec son acolyte Kristof, ne seront pas trop déboussolés par Sur la corde sensible, version retravaillée de son premier spectacle. Dans une mise en scène minimaliste et avec son violon pour seul compagnon, le jeune humoriste de 21 ans, cintré dans une veste de costume impeccable, a toujours en lui, plus présent que jamais, ce léger grain de follie immédiatement détectable qui lui permet de composer un personnage manifestement gay sans en faire trop. Et lorsqu’il décide au contraire de verser dans la caricature, comme dans ce sketch où un père retrouve un string sous le matelas de son fils ado, il parvient malgré tout à faire rire avec ce qui, de premier abord, pourraient ressembler à des clichés vus et revus.

On peut regretter que celui qui affirme au beau milieu de son spectacle, entre provocation et sincérité, n’avoir d’avis sur rien, rechigne à s’aventurer ses des terrains plus sociaux ou plus politiques. Mais cette position assumée d’observateur lui offre en contrepartie un détachement qui sert au mieux son humour noir.

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