«Le donneur ne peut pas garantir la bonne foi de son ou de sa partenaire»

120315_InterviewBrunoDanicim2EFSBruno Danic, référent prélèvements à la direction médicale de l’Établissement Français du Sang, explique pourquoi le don du sang est interdit aux hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.

Comment l’Établissement Français du Sang assure t-il la sécurité des dons ?
La sécurité transfusionnelle est assurée par trois étapes. Premièrement, le nettoyage des produits sanguins, c’est-à-dire l’élimination des agents infectieux dans le sang. Malheureusement, le nettoyage total est encore irréalisable et cette étape seule ne peut donc garantir la sécurité des malades transfusés. C’est pourquoi nous avons recours à des tests de dépistage pour un certain nombre d’infections graves transmises par le sang (VIH, hépatites B et C, syphilis, paludisme…). Là encore, ces tests ont leurs limites, car ils ne peuvent pas détecter les contaminations récentes : c’est ce qu’on appelle le risque résiduel. Aujourd’hui, ce risque est très faible grâce à la troisième étape, la sélection des donneurs, déterminée par des contre-indications définis dans un arrêté ministériel, lui-même étant la traduction d’une directive européenne datant de 2003.

Certains contestent la validité des enquêtes de l’Institut de veille sanitaire (InVS), qui montrent une prévalence du VIH beaucoup plus importantes chez les gays, au prétexte qu’elles sont effectuées majoritairement dans les sex-clubs et les lieux de prostitution, donc dans des lieux où vont les gays qui ont le plus de rapports sexuels et qui sont donc les plus exposés au VIH.
Les études, qu’elles soient réalisées auprès de la presse gay ou par Prévagay, aboutissent à des résultats concordants qui montrent qu’entre 12 et 18% des homosexuels sont séropositifs. Le chiffre n’est certes pas précis, mais l’ordre de grandeur n’est pas contesté. Ces études, qui reposent sur des données officielles et objectives, sont réalisées dans le cadre de la prévention et servent aussi à évaluer le risque transfusionnel. Par exemple, selon les dernières données de l’Institut de veille sanitaire, il apparaît que si l’on ouvrait le don du sang aux gays, le risque résiduel grimperait à quatre poches de sang contaminées par an, contre une seule poche de sang aujourd’hui. Cela pose évidemment un problème aux autorités sanitaires, d’autant plus que les associations de malades, qui sont les premières concernées, sont partie prenante de ce débat et qu’elles n’acceptent pas l’idée d’un risque supplémentaire pris à leurs dépens.

N’est t-il pas possible de sélectionner les donneurs en fonction des pratiques à risques et non pas des populations à risque ?
Si quelqu’un vient donner son sang, c’est évidemment pour rendre service à un malade. Nous considérons qu’il est de bonne foi et sincèrement convaincu de sa séronégativité. Mais même dans une situation de couple, il y a un risque. La personne qui vient nous voir ne peut pas garantir la bonne foi de son ou de sa partenaire. La probabilité que le partenaire ait eu une prise de risque sans que l’autre soit au courant est deux fois plus élevée chez les couples homosexuels que chez les couples hétérosexuels. Quoi qu’il arrive, ouvrir le don du sang aux homosexuels à l’échelle de l’ensemble de la population, augmente le risque résiduel de laisser passer une poche de sang contaminée. Et, en dernier recours, ce seront toujours les associations de malades qui auront le dernier mot dans ce dossier. On l’a vu il y a trois ans lorsque Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, a voulu ouvrir le don aux gays et que les conclusions des études lui ont montré qu’il y avait un risque de contamination multiplié par quatre chaque année. C’est normal que les homosexuels souhaitent participer au don, c’est normal d’analyser toutes les données dont on dispose pour voir si c’est possible, mais il y a une autre part de la population qui reçoit les produits sanguins et qui voit les choses tout à fait différemment.

Interdire le don aux gays, n’est-ce pas prendre le risque que ceux-ci cherchent malgré tout à donner leur sang et mentent sur leur vie sexuelle ?
À chaque fois que l’on détecte dans les données de surveillance épidémiologiques une poche de sang contaminée par le VIH, on analyse, autant que possible, les circonstances dans lesquelles le donneur a pu être infecté. Et, ces trois dernières années, il s’agissait effectivement dans la majorité des cas d’hommes qui avaient eu des rapports homosexuels et qui ne l’avaient pas dit. Quand ils sont venus, ces hommes ne pensaient évidemment pas être séropositifs, mais cela nous inquiète, car si ces personnes avaient donné dans les dix jours qui ont suivi leur contamination, nous n’aurions pas pu détecter la présence du VIH dans leur sang.

Comment expliquez-vous alors que l’Espagne et l’Italie aient ouvert le don du sang aux homosexuels ?
Tout dépend des risques que la société est prête à prendre. Si les associations de malades l’acceptent, pourquoi pas ? En France, compte-tenu peut-être de l’histoire de la transfusion, marquée dans les années 80 par le scandale du sang contaminé, il paraît intolérable aux associations de malades que les risques de transmission augmentent.

Pensez-vous que l’Espagne et l’Italie doivent craindre à leur tour un nouveau scandale du sang contaminé ?
Je ne dis pas ça, nous ne sommes pas du tout dans le même contexte. Chaque pays est différent, chaque pays a sa culture, sa perception du risque. Mais un jour, il peut y avoir une contamination, oui. En France, nous sommes très transparents. Nous sommes capables de dire précisément combien on a trouvé de dons séropositifs et quel est le risque résiduel. Mais ce type de données est introuvable en Espagne ou en Italie. D’ailleurs, cela embête l’Institut de veille sanitaire, qui aimerait connaître les chiffres pour pouvoir comparer avec ceux de la France et savoir si le risque augmente ou pas.

Quel est le nombre de dons séropositifs découvert chaque année ?
Entre 2006 et 2008, il y a eu à peu près chaque année une dizaine de personnes qui donnaient leurs sangs, qui étaient séronégatifs et qui se sont contaminés entre deux dons de sang. Après, il y a un également environ une dizaine de cas de séropositivité chez les nouveaux donneurs. La moitié de ces cas est constituée d’hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes et qui ne le disent pas. En tout, il y a trois millions de dons chaque année, et un million six cent mille donneurs.

Interdire le don du sang aux gays ne fait-il pas courir à l’Établissement français du sang un risque de pénurie ?
Il n’y a heureusement jamais eu de pénurie de sang en France. Les besoins augmentent chaque année de 2 à 3% pour les globules rouges et encore plus pour le plasma et les plaquettes. Malgré cela, l’Établissement français du sang a toujours fait face aux besoins. Entre 20 et 25% des gens qui veulent faire leur premier don ne pourront pas donner, car il y a évidemment d’autres contre-indications que l’homosexualité. Par exemple, quelqu’un qui a été transfusé, ne peut pas aujourd’hui donner son sang à cause des mesures prises en 1997, même si les tests du VIH sont négatifs, même s’il a été transfusé il y a trente ans. Et il y a également des contre-indications qui relèvent actuellement de la simple précaution et qui pourraient être reconsidérées avant d’envisager de revenir sur des contre-indications dont on sait qu’elles correspondent à un risque réel. À nous de convaincre la population de participer au don du sang. Aujourd’hui, à peine 5% de la population en âge de donner donne son sang. Nous avons donc de la marge.

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