Richard Descoings et la question toujours actuelle de la visibilité

«Comment ne pas être dégoûté par tous ces homos qui croient bon de défendre les gays planqués quand ils sont riches et puissants en se retranchant derrière cette notion bâtarde de vie privée ?»

Patrick Thévenin, Descoings, homo pour les puissants, hétéro pour les autres, minorites.org (repris sur Rue89), 8 avril 2012

Nombreux sont ceux qui, à la mort de Richard Descoings, le 3 avril dernier, ont découvert que le directeur de l’Institut d’Études Politiques de Paris était gay.

Il faut dire que le défunt avait bien caché son jeu, allant jusqu’à épouser, en 2004, sa plus proche collaboratrice qui, selon le New York Post, n’ignorait rien des préférences de son mari. Ce qui pourrait tout à fait passer pour un acte privé relevant de sa liberté individuelle si ce mariage n’avait pas curieusement coïncidé avec le début de ses ambitions ministérielles. Et si Descoings, qui s’était engagé dans la lutte contre le sida auprès de AIDES dès la création de l’association et qui n’hésitait pas à se définir devant ses étudiants comme «le premier pédé de Sciences-Po», n’avait soudain fait preuve d’une pudeur de chaisière lorsque Le Monde s’était permis d’évoquer, sur un ton neutre et tout sauf inamical, ce secret de polichinelle pour la rue Saint-Guillaume.

richard descoings

Comme s’il avait assumé son homosexualité auprès de la future «élite de la nation», mais l’avait reniée dès lors qu’elle risquait d’être connue du plus grand nombre et de freiner son ascension sociale. Et nombreux sont également ceux, y compris parmi les gays et les lesbiennes, qui semblent trouver cela parfaitement normal et s’offusquent que certains militants LGBT osent faire remonter à la surface ce que Descoings avait si longtemps cherché à enfouir. Tout se passe comme si, obnubilés que nous étions par les questions de mariage, d’adoption et d’homophobie, nous avions complètement perdus de vue tous les autres combats, à commencer par celui de la visibilité. Beaucoup ont préféré la facilité qui consiste à désigner un ennemi extérieur (l’autre, l’hétérosexuel oppresseur, le méchant homophobe) au courage de s’interroger sur leur propre responsabilité à s’affirmer en tant que gay ou lesbienne.

Le placard tue encore

«Tant qu’il ne tenait pas de propos homophobes, il pouvait bien faire ce qu’il voulait, c’est sa vie privée, on s’en fiche !». Et bien, non. Un gay ou une lesbienne célèbre au placard est un frein à l’émancipation de tous les gays et de toutes les lesbiennes. Si les adolescents LGBT sont plus exposés à la tentation du suicide que les autres, ce n’est pas parce qu’on leur interdit de se marier ou d’adopter ; c’est parce qu’ils manquent de modèles positifs auxquels s’identifier. «Silence = death», proclamaient les pancartes d’Act Up à la fin des années 80. En un quart de siècle, avons-nous vraiment progressé dans ce domaine ?

Pourtant, on ne demande pas aux personnalités publiques d’organiser une conférence de presse pour annoncer au monde entier leur orientation sexuelle. On ne veut pas savoir avec qui elles couchent, ni où, ni dans quelles positions, ni combien de fois par jour. On leur demande juste de ne pas cacher qui elles sont. De cesser de mener ces doubles vies ridicules qui ne trompent personne. Et on forme le vœu que, lorsque le mouvement LGBT français aura atteint, avec l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels, l’un de ses principaux objectifs, il inscrive enfin la question de la visibilité en tête de liste de son nouvel agenda politique.

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