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Le racisme antimusulman, nouvelle plaie chez les homos ?

Partout en Europe, une partie du mouvement gay et lesbien reproche à l’autre de succomber aux sirènes du racisme antimusulman. Y aurait-il péril en la demeure LGBT ?

Berlin, juin 2010. Invitée par les organisateurs de la Christopher Street Day Parade (CSDP, l’équivalent des Marches des Fiertés ou des Gay Pride dans les pays germanophones), Judith Butler, la papesse des études sur le genre (auteure notamment de Trouble dans le genre et de Défaire le genre) crée un petit scandale en déclinant le Prix du courage civil qui devait lui être remis. Sans nommer personne ni citer les déclarations incriminées, elle accuse les organisateurs de l’événement d’avoir tenu des propos relevant du racisme antimusulman ou de ne pas s’être désolidarisés de ceux-ci (voir des extraits de son discours ci-dessous).

Londres, février 2011. Depuis quelques semaines, des autocollants homophobes se référant au Coran ont fait leur apparition dans l’East End, un quartier de la capitale anglaise où vivent de nombreux musulmans venus des anciennes colonies britanniques (on apprendra quelques mois plus tard qu’ils avaient été disséminés par un jeune musulman isolé). Pour répondre à cette provocation, un groupe d’amis gays décide d’organiser une «East End Pride» qui divise profondément les organisations LGBT londoniennes, certaines craignant une instrumentalisation du projet à des fins xénophobes. La marche sera finalement annulée après la révélation que l’un des organisateurs entretenait des liens avec l’English Defense League, un mouvement d’extrême-droite violemment antimusulman.

Paris, avril 2011. L’affiche de la plus grande Marche des fiertés de France déclenche, plusieurs semaines durant, une intense polémique : le coq blanc choisi par ses concepteurs est perçu comme un symbole nationaliste.

Adhésion au “choc des civilisations”

En quelques mois, dans trois grandes capitales européennes, les organisations LGBT se sont divisées sur la question de l’islam et une fraction a reproché à l’autre son racisme antimusulman. Pour les accusateurs, cette dérive xénophobe a un nom : l’homonationalisme, un terme forgé en 2007 par l’universitaire américaine Jasbir K. Puar dans un ouvrage qui vient d’être traduit en français et dans lequel elle analyse ce qu’elle décrit comme une conversion des associations homosexuelles américaines à la thèse du «choc des civilisations» (défendue par les néoconservateurs américains) après le 11-Septembre. Le même phénomène serait observable en Europe, notamment sous l’influence de responsables politiques dont certains prétendent désormais défendre les droits LGBT contre «l’islamisation» du Vieux-Continent.

Débat très virulent au sein du mouvement LGBT

Ce n’est pourtant pas tant l’extrême-droite qui est sous le feu des critiques des contempteurs de l’homonationalisme que ses relais supposés au sein du mouvement gay et lesbien. Avec, parfois, une virulence qui va bien au-delà de la dénonciation du racisme chez les homos. À Berlin, les organisateurs de la CSDP ont rejeté les accusations de Butler comme toute forme de stigmatisation et ont rappelé leurs efforts pour lutter contre la double discrimination subie par les homosexuel(le)s d’origine étrangère. À Londres, le célèbre militant anglais Peter Tatchell, qui avait retiré son soutien à l’East End Pride lorsque les liens troubles de ses organisateurs avec l’extrême-droite avaient été révélés, a appelé quelques mois plus tard à une autre marche pour protester contre les agressions anti-gays qui, selon lui, se sont multiplié dans cette partie de la capitale britannique.

À Paris, un groupe baptisé les Lesbians of Color a été jusqu’à qualifier l’utilisation du coq blanc de «pétainiste». En France, de manière générale, les dénonciateurs de l’homonationalisme font souvent de ce dernier une lecture très large : aux yeux de ses détracteurs les plus virulents, la défense de la laïcité ou l’adhésion d’une partie du mouvement LGBT aux valeurs républicaines font partie de cette logique qui stigmatiserait sans le dire les musulmans.Passionné et passionnant, ce débat qui ne fait que commencer au sein du mouvement LGBT (avec, pour le moment, un certain retard à l’allumage en France) s’annonce vif et sans concession.

 

Illustration © Vergine Keaton

 

 

 

Sie ist keine Berlinerin

«Je perdrais mon courage si j’acceptais simplement ce prix dans les conditions politiques actuelles. […] Les associations organisatrices [du défilé, NdlR] refusent de comprendre que la lutte contre le racisme devrait être une composante essentielle de leur action. Ayant dit cela, je dois prendre mes distances avec cette complicité de racisme, notamment de racisme antimusulman […] Actuellement, de nombreux gouvernements européens affirment que nos droits de gays, de lesbiennes et de queers doivent être soutenus et on nous fait croire que la nouvelle haine des immigrés est nécessaire pour nous protéger. Nous devons refuser cela. […] Mais qui dit non ? Et qui subit ce racisme ? Où sont les queers qui se battent réellement contre cela ?»

(Discours de Judith Butler pour refuser le Prix du courage civil, Berlin, 19 juin 2010)

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