Édito de novembre

«Au moment […] où nous sommes au bord de la faillite, […] où nous voyons la succession de plans sociaux, de toute évidence, c’est une diversion digne d’un show de Las Vegas.»
Christian Estrosi (député-maire UMP de Nice) à propos du mariage pour tous, le 11 octobre sur RTL.

C’était prévisible : notre bonne résolution de ne plus nous laisser aller à des colères trop faciles contre les opposants au mariage pour tous (voir édito précédent) n’a pas fait long feu. Ce mois-ci, c’est donc Christian Estrosi qui suscite notre juste courroux pour avoir jugé que les débats actuels autour du mariage et de l’adoption relevaient d’une «diversion». Nul besoin en effet d’être politologue pour comprendre que Jean-Marc Ayrault (et le gouvernement qu’il dirige) tente, en enfourchant ce cheval de bataille, de souder derrière lui l’électorat de gauche, aujourd’hui très majoritairement favorable à ces réformes. Il cherche, autrement dit, un facteur de cohésion de son camp, divisé sur bien d’autres sujets (européens, économiques, budgétaires, écologiques, sociaux…). So what ? Rien de bien neuf ni de très machiavélique là-dedans : il ne fait qu’appliquer une recette ultra-classique, utilisée par tous les gouvernants. Cela veut-il dire qu’il est insincère ? Pas forcément, car l’intérêt bien compris d’un responsable politique n’est pas nécessairement en contradiction avec ses convictions profondes. De toute façon, l’important n’est pas là : l’essentiel, en politique, ce sont les actes, plus que les intentions. Une variation trop souvent lue et entendue sur ce thème de la «diversion» affirme que tout ça n’est pas urgent et qu’il y a d’autres priorités à traiter. Mais les réformes sociétales ne sont jamais urgentes pour ceux qu’elles ne concernent pas. En avril 1944, quand le Comité français de Libération nationale a accordé le droit de vote aux femmes, il s’est sans doute trouvé des Estrosi pour ronchonner que cela pouvait bien attendre et que l’urgence était de libérer et reconstruire le pays. En 1975, quand Simone Veil a défendu devant l’Assemblée nationale la légalisation de l’avortement, c’était déjà la crise. Et heureusement qu’on n’a pas écouté les Estrosi de l’époque qui préconisaient de remettre ce genre de réformes à des jours meilleurs, vu qu’on est toujours en plein dedans presque quarante ans après. En 1981, lors de l’abolition de la peine de mort (que ce même Christian Estrosi voulait rétablir en 1991), il y avait déjà un million de chômeurs… Qu’attend-on, au juste, pour que ce soit enfin le bon moment d’ouvrir mariage et adoption aux couples de même sexe ? L’avènement sur Terre de la Jérusalem céleste, la résolution de tous les problèmes jugés plus urgents ? Si l’on s’en tient à la proportion (imprécise mais communément admise par les sexologues) de 5 à 10% d’homosexuels dans l’ensemble de la population, entre trois et six millions de Français seraient directement concernés par ces questions. Est-ce vraiment quantité négligeable, même en temps de crise ? Quand Christian Estrosi critique les diverses politiques menées par le gouvernement et pointe du doigt les difficultés actuelles des socialistes, il est dans son rôle classique et légitime d’opposant. Mais, de la part d’un homme qui a été ministre et qui n’ignore donc rien du fonctionnement d’un gouvernement, il faut quand même beaucoup de mauvaise foi pour oser prétendre devant les électeurs que l’empressement (dont nous ne sommes pas dupes) de Ayrault & Co à s’emparer de ces questions freine ou retarde la résolution de la crise et autres «problèmes plus urgents».

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