«Faire cohabiter égalité et critique de la norme»

Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Daniel Borrillo est un intellectuel engagé en faveur de l’égalité.

En tant que juriste, quelles sont pour vous les étapes importantes qui ont conduit au «mariage pour tous» ?

La demande d’une reconnaissance légale des couples homosexuels est née en réaction à l’épidémie de sida et à la fragilité accrue qu’elle entraîne pour les couples non-reconnus par l’État : difficultés administratives à l’hôpital, pour un transfert de bail ou lors d’une succession suite à la mort d’un des partenaires, etc. En 1989, la Cour de cassation refuse de reconnaître la qualité de concubins aux membres d’un couple homosexuel. La première proposition de loi pour un partenariat civil destiné aux homosexuels est déposée par Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur socialiste, en mai 1990. D’autres voient le jour : d’abord le Contrat d’Union Civile (CUC), puis le Contrat de Vie Sociale (CVS), puis le Contrat d’Union Sociale (CUS). En 1993, la Sécurité sociale reconnaît le partenaire homosexuel comme ayant-droit de son compagnon. Ces étapes sont autant de prémisses du Pacte Civil de Solidarité (PaCS), qui est présenté à l’Assemblée nationale à partir du 9 octobre 1998 et définitivement adopté le 13 octobre 1999. À l’époque, les associations homosexuelles ne revendiquent pas encore le droit au mariage ; la première à l’avoir fait, c’est AIDES.

Pourquoi le mouvement homosexuel a-t-il préféré se calquer sur une institution hétérosexuelle déjà existante plutôt que d’inventer une forme nouvelle de protection juridique ?
À l’origine, il s’agissait bien de réclamer la création de formes juridiques nouvelles. Le projet initial du PACS devait permettre de contracter une union avec un ami, un voisin, voire un membre de sa famille ; il n’était pas sensé n’englober uniquement que les relations amoureuses ou sexuelles. Mais on pouvait y voir aussi une forme d’hypocrisie, d’incapacité à nommer les choses et à reconnaître de façon spécifique l’amour homosexuel. Et dès lors qu’on demandait tous les droits inhérents au mariage, il fallait également en accepter toutes les obligations. De plus, dans les luttes pour l’égalité, on se positionne toujours par rapport à un droit déjà existant.

Cette aspiration au mariage ne symbolise-t-elle pas le triomphe de la monogamie sur les idéaux de la libération sexuelle ?
Oui, en partie, parce que les revendications des années 70 étaient d’inspiration libertaire et que celle du mariage paraît, en comparaison, un peu conformiste. Mais, encore une fois, replaçons-la dans son contexte, qui est celui du sida : il fallait alors impérativement trouver une protection pour les couples de même sexe, qui n’avaient absolument aucun droit. La revendication égalitaire me semble tout à fait légitime, mais je pense qu’il faudrait faire cohabiter l’égalité avec la critique de la norme : l’un sans l’autre, pour paraphraser Rabelais, n’est que ruine de l’âme. Par exemple, en tant que juriste, je trouve que le mariage, dans sa forme actuelle, est plus proche d’une institution religieuse ou canonique que d’un contrat laïque. C’est pourquoi je suis favorable à une réforme du mariage qui supprimerait le devoir de fidélité, l’obligation alimentaire à la belle-famille, la notion de faute dans le divorce ou l’obligation pour un couple de devoir passer devant un juge lorsqu’il souhaite divorcer, même lorsqu’il n’a pas d’enfants ou qu’il n’y a pas d’enjeux patrimoniaux, ne soit pas obligé de passer devant un juge.

Certains estiment pourtant que le mariage est une institution en déclin, et donc que ce combat est d’arrière-garde…
Peut-être, mais aujourd’hui, sans mariage, par exemple, votre compagnon étranger ne pourra pas obtenir de carte de séjour au titre de la vie privée et familiale. Si l’un des partenaires meurt, l’autre ne peut pas toucher de pension de réversion et, en l’absence de testament, n’aura aucun droit héréditaire. Après, on est en droit de penser que le mariage est une institution bourgeoise et convenue ; mais si les homosexuels veulent se marier, je crois qu’ils ne sont pas assignés à la subversion.

Daniel Borrillo
_1961_ naissance à Buenos Aires (Argentine)
_1987_ arrive en France
_1992_ devient maître de conférences en droit à l’Université de Paris X-Nanterre
_1995_ s’engage auprès de l’association de lutte contre le sida AIDES en devenant volontaire
_2004_ lance avec Didier Eribon un «Manifeste pour l’égalité des droits» publié par Le Monde et signé par de nombreuses personnalités. Il aboutira au mariage (annulé) d’un couple d’hommes par le maire de Bègles, le Vert Noël Mamère

 

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