«Quelle place pour l’individu dans la société ?»

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Bruno Hérail, né en 1947, a milité au sein du Groupe de Libération Homosexuel (GLH) de Lyon dans les années 70.

Comment a débuté votre militantisme homosexuel ?
En 1971-72, j’étais militant antimilitariste. J’étais insoumis, c’est-à-dire que j’ai refusé de faire mon service militaire et que je n’ai pas voulu non plus être objecteur de conscience. Je faisais alors partie d’un mouvement, relativement fort et dynamique, contre les lois Debré. Quand tout cela s’est terminé, il a fallu que je me pose la question, à la fois personnelle et politique, de mon homosexualité. C’est comme cela que j’ai commencé à mettre les pieds dans le GLH de Lyon ; mais seulement la pointe des pieds au départ, car tout cela m’effrayait un peu ! C’était vers 1978-79. Ça se passait aux Tables rabattues, un restaurant coopératif situé rue Gaudin, sur les pentes de la Croix-Rousse. Le GLH se réunissait-là le samedi après-midi, après le déjeuner. C’était un groupe d’une dizaine de personnes. Au départ, comme à chaque fois qu’on rejoint un mouvement, j’y ai subi une forme d’étrangeté, de bizutage : il faut prendre un train en marche, découvrir des gens, un vocabulaire, se découvrir aussi dans un groupe.

Quelles étaient alors vos revendications ?
Elles ont toujours été de deux ordres. D’abord, un ordre personnel : en tant que pédé, comment vivre et exister dans une société comme celle-ci, quelles relations établir avec autrui ? Ensuite, un ordre politique, plus global : comment changer cette société qui marginalise, qui est raciste, qui considère l’homosexualité comme une maladie mentale, qui est source de violence physiques, psychiques, sexuelles, etc. ? Pour ma part, je ne pouvais imaginer vivre ma sexualité qu’en effectuant cette interrogation sur la société. Nous, nous intervenions sur Lyon, mais il existait des GLH ou d’autres types de structure un peu partout en France (je pense notamment aux Universités d’été euro-méditerranéennes des homosexualités de Marseille).

Y avait-il des lesbiennes au sein du GLH ?
Non, c’était un groupe exclusivement masculin, mais je ne sais pas du tout si c’était un simple état de fait ou une règle. Ce qui est sûr, c’est que nous étions en contact avec des militantes féministes, lesbiennes ou pas.

Certains opposants au mariage des couples de même sexe tirent argument du fait que les revendications du mouvement homosexuel ont beaucoup changé depuis cette époque…
Je ne pense pas que jadis, les pédés étaient différents. Le GLH, ce n’était qu’une partie des personnes homosexuelles. Moi, je suis célibataire, mon copain est mort et le mariage, personnellement, ça ne m’intéresse pas. Ça ne m’a jamais intéressé, pas plus que d’avoir des enfants. En revanche, j’admets que d’autres personnes puissent faire ces choix-là. Je pense que toute avancée légale, toute nouvelle reconnaissance de droits pour les personnes homosexuelles est fondamentale, parce que notre situation est toujours d’une fragilité extrême. Demain, tout pourrait être remis en cause et la barbarie pourrait resurgir. Donc, posons cette loi sur le mariage comme un garde-fou. Mais il faut demeurer actif et attentif face à tout le reste.

Militez-vous toujours au sein d’organisations homosexuelles ?
Non. Après la fin du GLH, j’ai milité quelques temps au Forum Gay et Lesbien, mais ensuite j’ai quitté Lyon et je n’ai plus eu de contact avec le mouvement homosexuel. Mais je participe par exemple à une association qui travaille à la réduction des risques avec des personnes toxicomanes à Montpellier. Je suis également membre d’une structure qui fournit de l’énergie verte aux consommateurs. Je milite aussi contre le gaz de schiste ou pour la cause de Notre-Dame des Landes. Est-ce que cela a encore à voir avec l’homosexualité ? Directement, bien sûr que non. Mais pour moi, c’est toujours la même question qui se pose et laquelle je réfléchis depuis quarante ans : quelle place, en tant qu’individu, puis-je obtenir dans une société ?

Un groupe très actif
Entre 1976 et 1979, le Groupe de Libération Homosexuel a multiplié les initiatives pour rendre l’homosexualité visible dans l’espace public. Il organise ainsi deux semaines de projections de films au cinéma associatif Le Cinématographe (Lyon 2) : «L’Autre Amour» au printemps 1976 et la «Semaine homosexuelle» en juin 1977. Il édite aussi une revue, Interlopes, dont les cinq numéros soutiennent aussi bien la cause des gays et des lesbiennes que celle des Palestiniens ou les mouvements anti-nucléaire. Outre ses réunions au restaurant autogéré Les Tables rabattues, il organise également en juin 1978 une grande fête baptisée «Dissidanse rose» et participe au défilé du 1er mai 1979.

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