Sommes-nous tous des pervers déviants ?

Fétichismes, sadomasochisme et autres fantasmes ou pratiques sexuelles non-hétéronormés sont regroupés sous une même désignation aux contours floues : les paraphilies.

Dimanche 10 mars, Écrans Mixtes propose à ses spectateurs de découvrir un film inédit à Lyon, qui aborde un thème rarement discuté lors des festivals de cinéma gay et lesbien : celui du handicap et de l’attirance qu’il suscite. On y suit Hervé, qui aime les garçons de vingt ans mais qui souffre d’une malformation qui le prive de ses pieds et de ses mains. Sa vie bascule lorsqu’il rencontre un jeune homme pour lequel cette particularité physique ne constitue pas un repoussoir, mais au contraire un objet de désir… Ce film réalisé par Rémi Lange en 2007 s’intitule Devotee, un terme anglais qui désigne une personne valide attirée par les personnes handicapées physiques en raison même de leur handicap. En français, on les appelle parfois les «handiphiles».

Pour les psychiatres, l’handiphilie est une paraphilie, c’est-à-dire une attirance ou une pratique sexuelle qui diffère de ce qui est considéré comme la «norme» sexuelle. On le voit, cette définition est donc éminemment subjective et soumise à des évolutions ; elle est aussi suffisamment imprécise pour englober aussi bien des activités sexuelles entre adultes consentants que d’autres relevant du droit pénal (agressions sexuelles, zoophilie ou pédophilie).

«Déviances», «perversions» ou «paraphilies» ?

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Dès ses origines, la psychiatrie s’est beaucoup intéressée à ce que ses tenants appelaient alors les «déviances» ou «perversions sexuelles». L’un des précurseurs en ce domaine est le baron Richard von Krafft-Ebing (1840-1902), qui publie en 1886 un ouvrage appelé à faire date dans l’étude de la sexualité humaine : Psychopathia Sexualis. Pour ce médecin austro-hongrois, le désir sexuel a pour unique but la procréation ; tout ce qui s’en éloigne relève donc de la perversion. On peut voir dans ce jugement l’influence du christianisme et de sa longue liste d’interdits (adultère, masturbation, homosexualité…) visant à canaliser la sexualité vers la seule voie reproductive ; toutefois, le discours de Krafft-Ebing et de la plupart de ses confrères ne se veut ni moral ni religieux mais scientifique, ce qui autorise une forme de compassion teintée de condescendance pour les «anormaux».

Ceux-ci devront tout de même attendre la fin du XIXe siècle pour trouver un véritable allié en la personne d’un sexologue allemand, Magnus Hirschfeld (1868-1935) qui fonde en 1897 un Comité scientifique humanitaire et en 1919 un Institut de sexologie. Mais même Hirschfeld, pourtant ardent avocat de la dépénalisation de l’homosexualité, raisonne encore en terme de «norme» et de «déviations», comme le montre à lui seul le titre de son ouvrage Anomalies et perversions sexuelles. Et c’est un élève de Freud, Wilhelm Steckel, qui forge dans les années 20 le terme «paraphilie», moins stigmatisant.

Le poids du DSM

Les préjugés ont la vie dure dans la communauté scientifique : ainsi, les deux premières éditions (1952 et 1968) du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), la Bible des psychiatres du monde entier éditée par la Société américaine de psychiatrie, parlaient encore de «déviations sexuelles». Le terme «paraphilie» ne s’imposera que dans la troisième édition, en 1980 ; l’homosexualité n’en fait dès lors plus partie.

Dans le domaine de la sexualité comme ailleurs, la frontière entre le «normal» et l’«anormal» n’est donc pas infranchissable ; pour les psychiatres, il est possible qu’elle soit amené à se déplacer à nouveau en mai, à l’occasion de la cinquième édition révisée du DSM. Peut-être se souviendront-ils alors de ces mots de leur confrère, le docteur suédois Lars Ullerstam, qui écrivait en 1965 dans un ouvrage très controversé (Les Minorités sexuelles) : «nous ne pouvons être sûrs que d’une chose : les perversités offrent de grandes possibilités de bonheur. C’est la raison pour laquelle les perversités sont bonnes en elles-mêmes et qu’il faut les encourager».

 

À lire

Michel Meignant, Nous sommes tous des pervers sexuels persécutés (éditions Robert Laffont, 1980)
Brenda B. Love, Dictionnaire des fantasmes, perversions et autres pratiques de l’amour (éditions Blanche, 2010)

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