Michel Chomarat : «cette mobilisation n’avait rien de surprenant»

Michel Chomarat est éditeur, militant LGBT et chargé de mission «Mémoire» à la Ville de Lyon. Il revient pour nous sur le mouvement anti-mariage pour tous.

Avez-vous été étonné par l’ampleur du mouvement anti-mariage pour tous à Lyon ?

Michel Chomarat

Michel Chomarat : Non, car il y a depuis longtemps à Lyon une double tradition catholique, tantôt sociale (avec le père Christian Delorme, la création de Témoignage chrétien durant l’Occupation…), tantôt traditionaliste, avec des réseaux intégristes très structurés, souvent en lien avec l’extrême-droite. Cette mobilisation n’avait donc rien de surprenant à partir du moment où le débat a été récupéré par les religieux, le cardinal Barbarin en tête. L’extrême-droite à Lyon a également une longue histoire, depuis qu’en 1793, la ville s’est rebellée contre la Convention, qui en retour a réprimé férocement les contre-révolutionnaires (c’est-à-dire essentiellement la bourgeoisie et l’aristocratie lyonnaise ainsi qu’une grande partie du clergé). 2000 morts, guillotinés ou fusillés, cela laisse des traces ! Aujourd’hui encore, il existe à Lyon des associations de descendants des victimes du siège de 1793. Et lorsqu’on a voulu commémorer le bicentenaire de la Révolution française en 1989, ça a été extrêmement compliqué !

Si l’on veut faire l’histoire de l’extrême-droite à Lyon, il faut aussi parler de l’Université Lyon III, qui a été dans les années 70 et 80 l’un des fiefs du négationnisme en France, de Bruno Gollnish, qui y a longtemps enseigné, ou, en remontant dans le temps, de l’écrivain Henri Béraud [polémiste antisémite qui fut condamné à mort à la Libération pour intelligence avec l’ennemi, NdlR] et d’Alexis Carrel, Lyonnais, prix Nobel de médecine et théoricien de l’eugénisme.

Il ne faut pas oublier non plus qu’à l’occasion des municipales de 2001, la ville a failli basculer très à droite avec la candidature de Charles Millon. Et on pourrait rappeler l’enfance lyonnaise de Frigide Barjot, née Virginie Merle, qui a beaucoup fréquenté le Front national et dont le père était un proche de Jean-Marie Le Pen. Fin avril, ce dernier était d’ailleurs à Lyon pour fêter le quarantième anniversaire du Front national et il a souligné qu’il connaissait très bien Frigide Barjot depuis qu’elle était toute petite ! Il existe donc également depuis longtemps à Lyon une tradition anti-républicaine, contre-révolutionnaire et anti-parlementariste, qui s’est engouffrée dans la brèche ouverte par ce débat de société.

Pensez-vous que l’attitude réservée de Gérard Collomb sur ces questions a encouragé les antis ?

Michel Chomarat : Ce qui est en cause ici, ce n’est pas seulement l’attitude du maire de Lyon, mais celle de François Hollande, de Jean-Marc Ayrault et de toute une partie des socialistes (à commencer par Jospin et son épouse), qui s’est toujours montrée très dubitative, voire hostile, au sujet du “mariage pour tous”. On retrouve chez eux les mêmes hésitations qu’au moment du Pacs, en 1999. À mes yeux, il aurait fallu faire passer cette loi tout de suite après l’élection de François Hollande et la victoire de la gauche aux législatives. Car nos adversaires ne peuvent pas prétendre qu’il n’y a pas eu de débat : j’étais au mariage de Bègles, il y a près de dix ans, on ne peut pas dire que depuis la confrontation d’idées n’a pas eu lieu !

Qu’avez-vous pensé, à l’inverse, de la mobilisation des défenseurs du projet de loi ?

Michel Chomarat : Ce qui m’a étonné, c’est la faiblesse du camp des pro-“mariage pour tous”. Il manque aux gays une conscience collective. Ils pensent que tout est acquis définitivement et il a fallu ce retour de bâton pour les réveiller : à mesure que nos adversaires devenaient de plus en plus nombreux, nos rangs ont grossi également. Mais cela ne change rien au fait que les milieux associatifs, particulièrement gays et lesbiens, sont en crise du fait de l’individualisation et de la dépolitisation générales de la société. À Lyon, ils reposent sur les épaules d’une dizaine de personnes, pas plus ! Et sans les réseaux sociaux, la mobilisation aurait été plus faible encore.

 

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