Édito de novembre : où est passé notre sens de l’autodérision ?

«En soirée, [la cagouine] fait scintiller ses leggins blancs sous les néons du bar, un verre de Get 27 à  la main. Outre sa phosphorescence, elle est reconnaissable à sa capacité à mimer des rapports sexuels en dansant.»

(Barbieturix, Lesbiennes dans tous leurs états, éditions Des Ailes Sur Un Tracteur)

 

Il n’est pas évident pour les gays et les lesbiennes de se moquer d’eux-mêmes par les temps qui courent. À Hétéroclite, nous en faisons chaque mois ou presque l’amère expérience depuis que nous avons décidé, il y a un peu plus d’un an, d’introduire dans le magazine une nouvelle rubrique intitulée «le coin du spécialiste» (cf. page 22). Cette série d’articles, écrite par le professeur Guillaume Ophobe et qui se veut clairement parodique, nous vaut pourtant régulièrement une volée de bois vert, sur www.heteroclite.org et sur les réseaux sociaux. Quelques internautes (qui ne représentent sans doute, heureusement, qu’une minorité de nos lecteurs) nous reprochent ainsi de perpétuer des clichés, de renforcer des stéréotypes, d’enfermer les gays et les lesbiennes dans des cases, voire d’être nous-mêmes homophobes et sexistes. Est-ce l’année éprouvante que nous venons de traverser, avec son cortège de violence verbale, symbolique (et même parfois physique) contre les homos, qui met tout le monde sur les nerfs et nous prive temporairement de cette faculté si précieuse qu’est l’autodérision ? Ou faut-il voir là l’effet plus profond d’une tendance lourde chez les homos, celui d’une soif inextinguible de normalisation qui leur fait rejeter, parfois avec plus de véhémence encore que le dernier des militants du GUD, tout ce qui dépasse du moule étriqué et hétéro-patriarcal dans lequel tant d’entre eux aspirent désormais à se fondre ? À cette aune, en effet, le «cliché» et le «stéréotype» sont pour eux des ennemis à combattre, non seulement dans les représentations (ce qui peut à la rigueur se comprendre, encore que de grands progrès aient été faits en ce domaine depuis quelques années) mais aussi dans les faits. Et c’est ainsi que l’on passe du «droit à l’indifférence» au «devoir d’indifférence» et que les follasses, les coiffeuses, les camionneuses, les trans, les travelos, les butchs, les obsédés du cul et bientôt les fans de Mylène Farmer se retrouvent montrés du doigt et privés de visibilité au nom même de la lutte contre l’homophobie : l’important, nous dit-on, est de donner une bonne image de l’homosexualité en en gommant chacune des aspérités ! Une mésaventure à peu près similaire à la nôtre est survenue aux rédactrices de l’excellent site lesbien www.barbieturix.com lorsqu’elles ont lancé, en début d’année, leur hilarante rubrique «Typologie», qui recense avec un humour camp, vachard et bienveillant à la fois différentes sortes de femmes qui aiment les femmes : «le bébégouine», «la cagouine», «la militante», «la psychopathe», «la gouine à PD», «la gouine refoulée»… Là encore, il s’est trouvé dans les commentaires du site quelques pisse-froids pour monter sur leurs grands chevaux, s’indigner, expliquer aux journalistes comment elles devaient s’y prendre pour faire reculer les discriminations et pour finir accuser de lesbophobie l’un des seuls médias lesbiens de France. Fort heureusement, les rédactrices de Barbieturix ne les ont pas écouté, ont persévéré dans leur démarche et ont même publié le 4 octobre dernier une compilation de ces chroniques intitulée Lesbiennes dans tous leurs états (éditions Des Ailes Sur Un Tracteur). Lisez-le, c’est autrement plus drôle et plus passionnant qu’une exposition d’Olivier Ciappa.

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