Taubiramania : ça suffit !

«C’est vous, madame [Taubira], la belle et haute voix. Nous pensons que vous feriez une formidable présidente de notre République.» (Virginie Despentes, Libération, 13 novembre 2013)

christiane-taubira-heterocliteTaubiramania, saison 2… Lorsqu’elle défendait devant le Parlement son projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, la Garde des Sceaux avait déjà suscité un vaste élan d’affection des militants et sympathisants homos français. Et voilà qu’une nouvelle déferlante d’envolées lyriques énamourées s’abat sur elle depuis quelques semaines. Bien sûr, ce procès en béatification intenté à la ministre de la Justice de son vivant («Taubira, santa subita !»), procès qui ne s’embarrasse pas de demi-mesure et confine parfois au culte de la personnalité, n’est pas né de nulle part. Beaucoup estiment qu’il ne s’agit que d’une réaction saine et naturelle aux attaques inacceptables dont elle a récemment fait l’objet. Ce racisme flagrant doit bien sûr être condamné et rien ne saurait le justifier : ni la critique de la politique menée place Vendôme depuis mai 2012, ni une quelconque forme d’humour, qu’invoquait par exemple l’hebdomadaire Minute pour sa pitoyable défense. Reste que la réponse apportée à ces injures honteuses nous laisse dubitatifs. D’abord parce qu’on se trompe en voulant faire du cas Taubira le symbole de la montée (bien réelle) du racisme dans la société française : ce que révèlent les insultes à l’égard de la Garde des Sceaux, ce n’est pas tant l’état d’esprit de l’ensemble de la nation que la nature profonde de la seule extrême-droite, quels que soient ses avatars (Printemps français, militante du Front national, journal Minute…). Ensuite parce que les solutions proposées pour faire face à ce repli identitaire ont un fort goût de déjà-vu et d’échec et nous ramènent tout droit trente ans en arrière. Comme en 1983, un pouvoir socialiste à bout de souffle, fer de lance d’une politique de rigueur qui désespère jusqu’à ses électeurs, cherche à resserrer ses rangs à travers la lutte contre un ennemi qui fait consensus à gauche. Comme en 1983, on organise de grandes manifestations prétendument apolitiques (“Marche des beurs“ hier, “Marche des Républicains“ aujourd’hui) qui seront bien vite récupérées et serviront de pépinières aux futurs dirigeants de gauche. Comme en 1983, des intellectuels “engagés“ se réunissent pour crier leur indignation et prêcher des convertis (voir par exemple la réunion de soutien à Christiane Taubira organisée par la revue La Règle du jeu le 17 novembre). Comme en 1983, on imprime de petits badges censés nous servir de boucliers contre la haine de l’étranger (“Touche pas à mon pote !“ hier, “Je dis que le Front national est un parti d’extrême-droite“ aujourd’hui). Comme en 1983, on mobilise la même rhétorique “antifasciste“ inopérante depuis longtemps («réveil de la bête immonde», «idées nauséabondes», «retour aux années 30/aux heures les plus sombres de notre histoire», etc.). Comme en 1983, la lutte contre le racisme passe essentiellement par la communication et l’événementiel, jamais véritablement par la politique. Comme en 1983, on ne s’interrogera pas sur la façon dont quarante ans de chômage de masse, de désindustrialisation et d’abandon des quartiers populaires ont pu créer un terreau favorable à tous les rejets de l’Autre, qu’il soit noir, arabe, musulman, juif, homo, trans… C’est cette question, la seule qui vaille en la matière, que l’icônisation de Christiane Taubira nous empêche de nous poser aujourd’hui, et c’est pourquoi il est urgent de nous débarrasser de ce romantisme déplacé et contre-productif.

5 commentaires

  • Veluma

    Moi au contraire je trouve cela bien que les gens s’indignent de tant de racisme et de haine, oui il a toujours été la , mais aujourd’hui il veut vivre au grand jour sous le nom de Marine( entre autre).
    Et OUI Taubira est un étendard, elle a tout mon soutien en tant que femme, que noire, que politicienne.

    Celui qui avait peur de son voisin hier en a encore peur aujourd’hui, faut arrêter la TV (qui prône une société individualiste) et regarder par sa fenêtre! car le monde n’est pas aussi sombre que nous le pensons.

  • babeil

    L’auteur reproche aux institutions de reprendre les méthodes et les arguments développés dans les années 80, point sur lequel je le rejoins, mais pourtant il fait exactement pareil en invoquant le problème du chômage, de la misère, de l’insécurité comme origine du racisme. Il est probablement trop jeune pour savoir que la ficelle est trop grosse et a été maintes fois utilisée pour justifier, excuser les comportements racistes et victimiser les auteurs dans les années 80 et 90. Au passage, l’argument est tout aussi contreproductif, le bilan négatif et on a pu le constater dès l’élection présidentielle de 2002. De plus, vous n’avez rien inventé en mettant sur le dos de la misère la haine de la société envers les noirs et les non blancs en général qui ne date pas d’hier mais est le fruit de siècles d’oppressions que des générations ont entretenu et transmis idéologiquement dans l’éducation de leurs descendants. Donc il ne faut pas toujours chercher un bouc émissaire social pour ce qui relève des responsabilités humaines et morales. La faute de l’anti-racisme français est d’avoir été une imposture en vendant à la société du gadget, de la poudre aux yeux afin de masquer l’immobilisme voire la régression en la matière. Quand on voit le virage opéré à 180 degrés par les organisations anti-racistes françaises qui, sous couvert de réalisme, de valeurs républicaines ou autres prétextes bidons empiètent elles mêmes sur le terrain de l’extrême droite, nul doute que la stratégie de manipulation de l’opinion consistant à faire obstacle à l’émergence d’un vrai anti-racisme est la seule explication plausible au résultat catastrophique d’aujourd’hui.

    • Romain Vallet

      On est bien d’accord, la misère et l’exclusion sociale ne sont pas les seuls causes du racisme (si c’était le cas, seuls les pauvres seraient racistes…). En revanche, elles constituent indéniablement un terreau favorable au rejet de l’Autre. Dire cela, ce n’est pas justifier ou excuser, c’est juste comprendre la montée du racisme. Et c’est pourquoi je pense qu’on lutterait beaucoup plus efficacement contre le racisme et les tensions inter-ethniques en créant des emplois là où il n’y en a plus, en assurant à chacun des conditions de vie et un logement décents, etc., qu’à travers des opération de com’ comme celles auxquelles nous assistons aujourd’hui.

  • babeil

    Comme de juste, si la misère était une cause du racisme, tous les pauvres seraient racistes et seuls les pauvres le seraient. La misère n’est un terreau favorable à rien du tout, c’est juste un révélateur de sentiments latents qui n’attendaient qu’un prétexte pour s’exprimer. On n’est pas raciste parce qu’on manque d’argent mais parce qu’on hait son prochain, on l’envie, on le jalouse, on le méprise. Certains ouvriers ne sont pas devenus racistes parce qu’ils ont perdu leur emploi mais parce qu’ils ont toujours été. La perte de leur emploi a été seulement un déclencheur de ce qu’ils ont toujours caché. C’est tout de même étrange que vous n’appliquiez pas le même raisonnement à la haine homosexuelle qui s’expliquerait par la pauvreté et la précarité. J’ai horreur qu’on essaie de tout expliquer par le social. Et les sentiments de haine des milliardaires du front national, vous l’expliquez comment?

    C’est la nature humaine qui amène à cette situation, des siècles d’oppression sans aucune pédagogie, aucune éducation pour changer la société. La seule politique préventive anti-raciste qui a été menée, qui n’aurait pas dû se limiter à la prévention mais s’étendre aussi à la répression, a été de la poudre aux yeux, des paillettes lors des années 80 jusqu’à aujourd’hui. Toute la com hypocrite sur l’affaire Taubira en est un exemple et vous l’avez dit vous même.

    Quand quelque chose de sérieux aura été fait dans le domaine de l’anti-racisme, montré ses limites et abouti à un échec, vous pourrez exprimer votre exaspération du couplet anti-raciste et mettre tout sur le dos de la pluie et du beau temps. En attendant, vous me permettrez de dire que la première des luttes est de dénoncer, condamner et chercher des solutions concrètes pour réprimer tous les agissements négroïstes et anti-islamistes car pour l’instant nous n’en sommes qu’à ce stade.
    Merci.

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