Sida : et maintenant, on fait quoi ?

Alors que l’épidémie poursuit sa progression chez les gays, de nouvelles stratégies préventives alimentent à la fois espoir et scepticisme. Mais les avancées scientifiques risquent d’avoir peu d’impact sans mobilisation politique et communautaire des gays.

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, l’Institut national de Veille Sanitaire (InVS) a dévoilé fin 2013 les derniers chiffres relatifs au développement de l’épidémie en France. Et comme à chaque 1er décembre depuis plusieurs années, les nouvelles ne sont pas bonnes : les découvertes de séropositivité ont été un peu plus nombreuses en 2012 qu’en 2011 (6 372). Et alors que leur nombre diminue ou reste stable d’année en année chez les hétérosexuels, les migrants et les usagers de drogue, il augmente uniquement chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), qui représentent 42% du total des nouvelles découvertes de séropositivité (de loin la catégorie la plus importante). Des résultats à mettre en parallèle avec ceux de l’Enquête presse gays et lesbiennes (EPGL), dévoilés concomitamment par l’InVS, selon laquelle le port du préservatif régresse encore chez les gays : 47% d’entre eux seulement déclarent l’utiliser systématiquement avec des partenaires occasionnels. Si cette tendance n’est pas nouvelle (l’EPGL la constate depuis 1997, soit à peu près depuis l’arrivée des trithérapies en France), elle semble s’aggraver, à tel point que les acteurs de la lutte contre le sida s’interrogent. Faut-il recentrer les messages de prévention sur la capote à l’exception de tout autre outil, afin de ne pas alimenter une confusion qui fait le jeu du sida ? Ou au contraire prendre acte de cette désaffection pour le préservatif et, tout en rappelant son efficacité indépassée en termes de protection, faire connaître les différentes techniques de réduction des risques (RdR) ? Le débat n’est pas nouveau et rappelle en partie les controverses sur le bareback il y a une dizaine d’années. Mais un changement majeur s’est produit depuis, grâce à l’arrivée de deux stratégies préventives nouvelles : le Treatment as Prevention (Traitement comme prévention, ou TasP) et la Pre-Exposure Prophylaxy (prophylaxie pré-exposition, ou PrEP). Depuis 2008, une série d’études scientifiques ont en effet démontré que la prise quotidienne d’un traitement antirétroviral réduisait les risques de transmettre ou de contracter le VIH. Si certaines associations voient là des pistes intéressantes, d’autres, comme Act Up-Paris, soulignent la lourdeur des traitements et craignent que cette lueur d’espoir soit surtout une manne économique pour les laboratoires pharmaceutiques.

L’indispensable sursaut communautaire contre le sida

Dans tous les cas, ces avancées scientifiques et médicales ne pourront faire reculer l’épidémie si les premiers concernés (c’est-à-dire les gays) ne prennent pas collectivement conscience du risque que le sida continue à faire peser sur leurs vies. Et c’est bien là que le bât blesse. Accaparées depuis des années par le «mariage pour tous» et la dénonciation de l’homophobie, les luttes homosexuelles ont peu à peu délaissé la question du sida, abandonnée aux associations de santé dont les actions de dépistage, pour nécessaires qu’elles soient, ne peuvent en aucun cas constituer la seule réponse au problème. Moins facile à «vendre» à l’opinion que celle des couples gays hétéro-normés ou des adolescent(e)s jetés à la rue par leurs parents, cette cause peine à mobiliser et les manifestations annuelles, chaque 1er décembre, enchaînent les flops. Les livres publiés à l’occasion des trente ans de l’épidémie de sida se sont peu vendus. Après la conquête du mariage et de l’adoption en 2013, les temps sont-ils propices à un regain de combativité anti-sida ? Malgré une situation financière de plus en plus précaire, les principales associations de lutte contre le VIH poursuivent leurs actions, qu’elles soient davantage orientées vers le terrain (comme AIDES), le lobbying ou la réflexion communautaire (comme Act Up-Paris ou Warning). Quelques grandes voix «historiques» continuent à s’exprimer (Didier Lestrade sur minorites.org, Christophe Martet sur yagg.com…). Des initiatives indépendantes voient également le jour, comme le collectif Parlons Q, lancé par un commerçant, Hervé Latapie («la taulière» du Tango à Paris). Mais il est symptomatique que ces projets ne naissent pas au sein de mouvements homosexuels déjà existants. Comme si plus personne ne croyait en la capacité des grandes fédérations associatives LGBT nationales ou des centres LGBT locaux, dénués de moyens financiers et frappés de plein fouet par la crise de l’engagement et du militantisme, à s’emparer de cette question pourtant si éminemment politique et communautaire.

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