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GPA, un débat encore à l’état de gestation

Au terme de longs mois de désinformation et de confusion, est-il possible de débattre sereinement de la gestation pour autrui (GPA) ? Le sujet est en tout cas remis sur la table par les associations organisatrices de la Marche des Fiertés de Lyon.

«Nos corps, nos choix !» : un beau mot d’ordre, cette année, pour la Marche des Fiertés lyonnaise. Il remet à l’agenda politique LGBT les concepts d’autonomie et de subjectivité des individus, dans la tradition des luttes pour les libertés sexuelles, la maîtrise de la fécondité et le droit à l’avortement dans les années 60/70. Mais ce mot d’ordre active aussi les termes d’une controverse classique, entre (schématiquement) l’affranchissement par la technique d’un côté et la crainte de l’aliénation aux technologies de l’autre. Au-dessus de la formule «nos corps, nos choix !» sont listés les terrains sur lesquels nous serions libres de faire nos choix dès lors qu’ils concernent nos corps : «droits des trans, PMA, IVG, GPA, prostitution».

Ce parti-pris est audacieux, provocateur et certainement problématique, tant ces sujets ont généré crispations, manipulations et, pour certains, ont même été exclus de tout débat. Parmi eux, la gestation pour autrui (GPA) est sans doute le dossier le plus clivant. Pour rappel, elle consiste à recourir à une femme tierce pour porter un enfant jusqu’à sa naissance. L’enfant peut être le fruit de l’ovocyte d’une autre femme (la mère) ou de la mère porteuse elle-même.

Dans le premier cas, la mère porteuse assure uniquement la gestation, dans le second elle est aussi la mère biologique. Mais dans les deux cas, elle renonce à son droit parental et la filiation est déclarée entre l’enfant et ses parents dits intentionnels. Il s’agit donc bien d’une procréation avec tiers, tout comme une insémination artificielle avec donneur. La nuance, de taille, tient aux incidences sociales, économiques et sanitaires pour la femme qui porte l’enfant et à l’inscription de cette procédure dans une économie marchande.

Critique féministe

De nombreuses associations et personnalités féministes s’émeuvent du processus de marchandisation du corps de la femme qu’impliquerait la légalisation de la GPA en France. Ainsi, la Coordination lesbienne de France a récemment quitté l’Inter-LGBT au motif du manque de clarté affiché par l’inter-association sur «le système prostitueur» et la GPA. L’association Osez le féminisme pointe elle aussi le risque d’«instrumentalisation » du corps des femmes ; l’historienne Marie-Josèphe Bonnet, dans Adieu les rebelles !, évoque la menace d’un «nouvel esclavage des femmes sur fond de guerre des sexes».

Les partisans de la GPA leur opposent que la lutte contre l’emprise de l’économie de marché et contre les dispositifs d’aliénation passe en général plus par des régulations sociales et légales que par l’interdiction de techniques ou de pratiques. C’est la position défendue par Elisabeth Badinter avec son concept de «GPA éthique».

L’argumentaire d’Osez le féministe est en revanche beaucoup plus recevable lorsqu’il insiste sur la dimension sociale et non biologique de la parentalité, mettant en cause le désir de certains couples de transmettre leur patrimoine génétique. Dans son ouvrage Métamorphoses de la parenté, l’anthropologue Maurice Godelier s’interroge a contrario sur la transformation du sperme ou des ovocytes en simple «substances génétiques», dont on nierait les origines. Il pose le cas de femmes qui «veulent bien du sperme mais pas d’un homme» et par extension les hommes qui veulent bien d’un utérus mais pas d’une femme.

Créativité sociale

On ne peut balayer ces questionnements d’un revers de pancarte en carton affichant, écrit au crayon, «égalité des droits». Car si la rhétorique de l’égalité a outillé des années de lutte pour les droits des personnes LGBT, elle est inopérante concernant la GPA. Il ne s’agit en effet pas de revendiquer un droit mais plutôt d’inventer de nouveaux possibles, d’en cerner les potentialités créatrices et vertueuses, mais aussi les risques.

naitre pere heteroclite juin 2014 gpa

Si l’on admet qu’une femme peut consentir à porter l’enfant d’autres parents, dans un cadre juridique, social et économique sécurisé, la question du projet parental et familial se pose avec toutes ses ambiguïtés : quel statut pour la contributrice (ou contributeur dans le cas d’une PMA) ? Quelle inscription généalogique ? Quelle prise en charge sociale de ces techniques de procréation ? Quel rapport à notre humanité et à ses fondements biologiques ? Autant de questions dont il est nécessaire de se saisir, en tachant d’éviter l’anthropologie ou la psychanalyse de bistrot d’un côté, la religiosité et les mystiques de l’ordre naturel de l’autre. Dans ce débat, in n’est pas impossible que les mouvements LGBT constituent l’avant-garde d’une créativité sociale renouvelée, articulée à une éthique soucieuse de la multitude des expériences et des identités.

 

Photo extraite du documentaire Notre père

 

 

Pour aller plus loin

Sur leur blog Sautez dans les flaques, Taina Tervonen (journaliste indépendante) et Mathieu Nocent (militant et ancien porte-parole de l’Inter-LGBT et de l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens) proposent un entretien avec une doctorante en anthropologie, Delphine Lance, qui s’est rendue en Ukraine et aux États-Unis pour y étudier la réalité de la gestation pour autrui, très éloignée de la vision qu’on peut en avoir en France.

 

 

La GPA dans le monde

En France, recourir à une mère porteuse est passible de trois ans de prison et de 45 000€ d’amende au nom du principe de l’«indisponibilité du corps humain». Des Français pratiquent néanmoins ce que certains nomment le tourisme procréatif. Les chiffres varient énormément selon les sources (ministère de la Justice ou associations de parents gays et lesbiens). Le nombre d’enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui (GPA) de parents français oscillerait ainsi de quelques dizaines à quelques centaines par an. Les législations et les pratiques sont très disparates selon les pays. On peut distinguer :

• les pays où la GPA est légale et réglementée : Australie, Afrique du Sud, Arménie, Australie, Biélorussie, Brésil, Grèce, Hong-Kong, Israël, Nouvelle-Zélande, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Thaïlande.

• les pays où la GPA n’est ni interdite, ni encadrée : Belgique, Pays- Bas, Irlande, Pologne, Slovaquie.

• les pays où la GPA est interdite.

Dans la première catégorie, les situations diffèrent énormément selon les cas. Les législations les plus abouties prévoient un abandon par la mère porteuse du statut de parent au profit des parents intentionnels, reconnus comme tels par un juge ; c’est le cas aux États-Unis, au Canada, en Afrique du Sud ou en Israël. Dans certains pays comme l’Inde et l’Ukraine, un important business s’est développé qui prive les mères porteuses de nombre de leurs droits. Toutefois, selon l’APGL, les femmes sont relativement protégées dans les autres pays. L’Afrique du sud, le Royaume-Uni et le Canada sont les seuls États à poser clairement l’interdiction de la rémunération ; seule l’indemnisation y est autorisée.

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