Le fonds de l’USC Shoah Foundation accessible à Lyon

L’École normale supérieure de Lyon dispose désormais d’un accès au fonds de l’USC Shoah Foundation, soit plus 51 000 témoignages de rescapés de la folie meurtrière des nazis, parmi lesquels ceux de six homosexuels.

Alors qu’on commémore ce mois-ci le soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz (le 27 janvier 1945), Lyon vient de se doter d’un outil incroyablement riche pour mieux appréhender la réalité vécue par les victimes de la Shoah. Depuis l’automne dernier, l’École normale supérieure (ENS) de Lyon dispose en effet d’un accès (unique en France) à l’une des plus grandes vidéothèques du monde sur ce que l’historien américain Raul Hilberg a appelé «la destruction des Juifs d’Europe» : le fonds de l’USC Shoah Foundation Institute for Visual History and Education.

Il s’agit d’une des plus importantes institutions en ce domaine, avec le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, le United States Holocaust Memorial Museum à Washington et la Fondation pour la mémoire de la Shoah à Paris. Adossée à l’Université de Californie du Sud (USC), elle est créée au milieu des années 90 par le cinéaste Steven Spielberg avec une partie des recettes générées par son film La Liste de Schindler (1993). Une équipe internationale de chercheurs s’emploie alors à recueillir et à filmer plus de 51 000 témoignages (d’une durée moyenne de 2h15) dans cinquante-six pays et trente-deux langues différentes. Au total, l’USC Shoah Foundation dispose ainsi de plus de 105 000 heures de vidéos : à titre de comparaison, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) ne renferme «que» 40 000 heures de documents filmés sur le génocide des Juifs européens.

Le fonds ne s’intéresse d’ailleurs pas qu’aux rescapés de la Shoah (même si ceux-ci forment l’écrasante majorité des témoignages), mais également aux survivants d’autres crimes contre l’Humanité, comme les massacres de Nankin (commis en Chine par le Japon en 1937) ou le génocide rwandais (1994). La vidéothèque de l’USC Shoah Foundation s’enrichira prochainement de témoignages de rescapés du génocide arménien (1915), dont on commémore cette année le centenaire.

Six survivants homosexuels interrogés

pierre seel deporte triangle rose gay pink triangle heteroclite usc shoah foundationLa plupart des personnes filmées et interviewées par l’USC Shoah Foundation sont des déportés raciaux (Juifs pour la plupart, mais aussi Tziganes, Roms ou Sinti), mais on trouve également dans ce fonds des récits de déportés politiques, de Témoins de Jéhovah, de travailleurs forcés non-juifs, de libérateurs des camps… et de six survivants homosexuels, tous des hommes, parmi lesquels Pierre Seel (1923-2005), qui reste à ce jour le seul Français ayant témoigné à visage découvert de sa déportation pour motif d’homosexualité.

Seel était originaire d’Alsace, rattachée au Reich allemand entre 1940 et 1944 et où s’appliquait donc une législation beaucoup plus répressive à l’encontre de l’homosexualité que celle qui prévalait dans le reste du territoire français sous administration du régime de Vichy. Dans l’entretien filmé d’un peu plus d’une heure qu’il a donné à l’USC Shoah Foundation, on l’entend évoquer les conditions de son arrestation.

Le témoignage de Pierre Seel

En 1940, alors qu’il est âgé de dix-sept ans, il fréquente un parc public de Mulhouse connu comme étant un lieu de rencontres homosexuelles et dans lequel il se fait voler sa montre. Il a alors la mauvaise idée de porter plainte et son nom est inscrit, à son insu, au registre des homosexuels tenu par la police, ce qui lui vaut d’être convoqué par la Gestapo. En mai 1941, il est arrêté, interrogé, torturé et violé avant d’être envoyé dans le camp de redressement de Schirmeck. C’est là qu’il assistera à l’assassinat de celui qu’il appelle «Jo, [s]on tendre ami», dévoré par des bergers allemands.

Ce récit, il l’avait déjà fait au micro de Daniel Mermet en 1993 (pour son émission radio Là-bas si j’y suis) et même consigné par écrit en 1994 dans un livre rédigé avec le militant gay Jean Le Bitoux, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel (éditions Calmann-Lévy). Mais la vidéo enregistrée par l’USC Shoah Foundation apporte sans conteste une dimension supplémentaire à son témoignage. Il est ainsi particulièrement émouvant de voir l’obstination avec laquelle, un demi-siècle après les faits, il se refuse à dévoiler à son intervieweur l’identité de «Jo», comme pour le protéger par-delà la mort.

Relations homosexuelles dans les camps

Ces six témoignages de déportés homosexuels peuvent paraître bien rares et presque anecdotiques au milieu des quelques 49 000 témoignages de déportés juifs récoltés par l’USC Shoah Foundation. Mais ils ne sont pas les seuls à évoquer l’homosexualité. Grâce à une indexation, minute par minute, de chaque entretien, on peut en effet retrouver, à travers un thésaurus de 62 000 mots-clefs, des centaines de récits concernant les activités sexuelles (généralement forcées) et plus rarement les relations amoureuses entre individus de même sexe.

Il est ainsi question de déportés, souvent jeunes, contraints, pour espérer survivre, d’accorder des faveurs sexuelles à un SS ou à un kapo. De viols et de sévices (homo)sexuels commis indistinctement sur des enfants, des adolescents ou des adultes par des gardiens de camps ou même parfois par des codétenus. Mais aussi des récits de déportés évoquant des amours ou des relations sexuelles consenties entre hommes ou entre femmes à l’intérieur même du système concentrationnaire.

À travers l’accès au fonds de l’USC Shoah Foundation, c’est ainsi une immense base de données qui est désormais consultable à Lyon, par les étudiants ou les universitaires mais aussi par le grand public (contre un abonnement annuel de 34€ à la bibliothèque Diderot) : un moyen d’apprendre et de se souvenir, à l’heure où s’éteignent les derniers survivants de la barbarie nazie.

 

Bibliothèque Diderot, 5 parvis René Descartes-Lyon 7 / 04.37.37.65.00
Pour accéder au moteur de recherche de l’USC Shoah Foundation en ligne depuis n’importe quel ordinateur : http://vhaonline.usc.edu

Le témoignage de Pierre Seel au micro de David Mermet en 1993 dans l’émission Là-bas si j’y suis.

 

Image 1 : photo d’identité judiciaire d’un homme déporté pour homosexualité (image d’archives apparaissant dans le documentaire Paragraph 175 de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, 2000)
Image 2 : Pierre Seel à Paris, Journée du Souvenir de la Déportation, le 29 avril 2001 © Thomas Doussau / Les « Oublié(e)s » de la Mémoire – Droits réservés

2 commentaires

  • COUILLET-BOURGEOIS Philippe

    Merci pour cet article et ces informations précieuses.
    Merci de bien vouloir indiquer le crédit de la photo de Pierre Seel :
    [Pierre Seel à Paris, Journée du Souvenir de la Déportation, le 29 avril 2001
    Photo Thomas Doussau / Les “Oublié(e)s” de la Mémoire – Droits réservés].
    Nous vous informons que Les “Oublié-e-s” de la Mémoire sont également dépositaires en France du témoignage de Pierre Seel (indiqué dans votre article) qui a été présenté à Toulouse en exclusivité le 24 novembre 2012 : http://devoiretmemoire.org/actualites/communiques/2012/20121124.html

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