Sur “Charlie Hebdo”, “l’humour” et les caricatures

Reprocher à Charlie Hebdo certaines de ses caricatures ? Pourquoi pas : l’humour aussi doit pouvoir être critiqué. Mais ne mélangeons pas tout…

non-aux-manifs-de-vieilles-gouines charlie hebdo une manif pour tous christine boutin frigide barjot heteroclite«Je ne suis bien évidemment pas Charlie […] Charlie Hebdo était devenu un journal raciste, homophobe, transphobe, sexiste, et tout particulièrement islamophobe.»
Cécile Lhuillier (ancienne présidente d’Act Up-Paris et militante au Collectif 8 mars pour toutes), dans une tribune sur Têtu.com, 28 janvier 2015

Il faut manifestement encore le rappeler : Charlie Hebdo n’était ni Zemmour, ni Finkielkraut, ni Le Pen. Entre des idéologues obsédés par le déclin de «l’Occident» ou par le «péril musulman» et des «anticléricaux fanatiques» (pour reprendre un bel oxymore de Brassens) traînant dans la boue l’idée même de religion, il y a un gouffre. Présenter Charlie Hebdo comme un tenant ou un rouage du «choc des civilisations», le mettre dans le même sac que Valeurs actuelles ou Minute, c’est remplacer l’analyse politique par une posture morale, c’est s’empêcher de penser et de comprendre les évolutions du paysage intellectuel et politique européen (et plus particulièrement français).

Il n’en reste pas moins vrai que pour parler des minorités (ou plutôt des minorisés) sexuelles ou religieuses, Charlie Hebdo manquait souvent de finesse, de pertinence, de discernement, d’imagination ou tout simplement d’humilité. Charlie parlait plus fréquemment «à la place de» qu’il ne laissait ces minorisés s’exprimer par eux-mêmes. Même s’il y avait aussi des femmes (plus qu’on ne l’a dit) dans l’équipe de Charlie, ceux qui tenaient le haut du pavé dans la rédaction (et qui ont presque tous été assassinés ce funeste 7 janvier 2015) étaient pour la plupart des hommes, blancs, hétérosexuels, cisgenres, athées. Autrement dit, des gens qui, dans une société largement sécularisée mais traversée par le sexisme, le racisme, l’homophobie ou la transphobie, étaient épargnés par ces discriminations, à tel point qu’en toute bonne conscience, celles-ci semblaient leur être devenues invisibles.

Charlie contradictoire

Ainsi, Charlie se voulait universaliste mais n’exprimait trop souvent qu’un particularisme parmi d’autres, celui de dominants qui refusent de remettre en question leur “privilège”. Charlie soutenait le mariage pour tous mais les seules représentations de lesbiennes qu’on ait vues dans ses colonnes auraient fait s’esclaffer grassement le plus bas du front des marcheurs de La Manif pour tous. Charlie dénonçait le racisme mais ses caricatures de musulmans pouvaient se retrouver (sans l’accord de leur auteur) sur des sites d’extrême-droite, preuve que leur message n’était pas aussi clair et dénué d’ambiguïté que ses dessinateurs l’auraient souhaité. Charlie défendait le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes (notamment l’IVG) mais voulait émanciper malgré elles celles qui portent le voile ou se prostituent de leur plein gré (même si des débats houleux existaient au sein de la rédaction à ce sujet).

Charlie était-il contradictoire ? Oui, sans doute, et ce n’est pas parce que nous le sommes tous à des degrés divers qu’il ne faut pas le souligner. Mais là où il y a de la contradiction, il y a aussi de la complexité. Et celle-ci n’est pas plus restituée par les anathèmes que par un slogan.

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