L’Opéra de Lyon dévoile sa saison lyrique 2015-2016

Le 14 mars dernier, Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon, révélait à la presse sa saison lyrique 2015-2016. Les premiers mots qui viennent à l’esprit pour la qualifier sont audace, innovation et rareté.

opéra de lyon exterieur nuit heteroclite copyright franchella stofleth«Audace» car, à l’heure où les questions budgétaires et financières se posent avec plus d’acuité que jamais dans les milieux culturels, le choix d’une programmation séductrice faisant appel aux œuvres populaires aurait pu s’imposer. Mais rien de tel dans cette nouvelle saison. Les blockbusters du répertoire – Tosca, Traviata, Don Giovanni et tant d’autres qui assurent des représentations à guichets fermés – ne seront pas à l’affiche de l’Opéra de Lyon la saison prochaine.

«Innovation» car les œuvres du XXe siècle et les nouvelles productions représentent près de la moitié des opéras représentés – sans compter une création mondiale dont nous reparlerons plus bas.

«Rareté» enfin car, après avoir récemment contribué à la création française des Stigmatisés de Schreker, Serge Dorny récidive et ressuscite des œuvres méconnues, négligées, voire oubliées.

On peut dès lors concevoir que cette nouvelle saison déconcerte ou déçoive une partie du public mélomane ; en particulier les amateurs de l’opéra baroque ou du vérisme italien. Mais cette programmation possède tous les atouts pour susciter la curiosité et l’enthousiasme. Pour servir de fil conducteur aux douze productions à venir, Dorny a choisi un thème : la liberté, ou plutôt les voix de la liberté.

Berlioz en ouverture de saison

La saison s’ouvrira avec La Damnation de Faust de Berlioz (du 7 au 22 octobre), œuvre emblématique de la liberté artistique pour plusieurs raisons. Si quelques scènes sont directement inspirées du poème de Goethe, les changements apportés par Berlioz au texte original (comme la fin tragique du héros) sont nombreuses. Liberté également dans la forme, puisque cette Damnation de Faust n’est pas vraiment un opéra, ni un oratorio : Berlioz lui-même considérait son œuvre comme «une légende dramatique». En brisant les codes de l’époque et en allant contre les goûts du public, le compositeur affirmait sa liberté créatrice.

Sur scène, on retrouvera Charles Workman (qu’on a vu récemment dans le rôle d’Alviano dans Les Stigmatisés, à voir jeudi 26 mars et samedi 28 mars à 20h), Laurent Naouri et Kate Aldrich (qu’on a entendue en début d’année dans Idoménée et qu’on va bientôt retrouver en Carmen dans la reprise de la mise en scène de 2012 de l’opéra de Bizet par Olivier Py). À la baguette, Kasushi Ono assurera sa dernière saison comme chef permanent de l’Opéra de Lyon. La mise en scène sera quant à elle assurée par David Marton, dont le récent Orphée et Eurydice (à voir jusqu’au dimanche 29 mars) a laissé le public assez mitigé.

Un opéra contemporain sur la maladie d’Alzheimer

Du 13 au 17 novembre, les solistes du studio de l’Opéra de Lyon nous proposeront au Théâtre de la Croix-Rousse un opéra créé en 1987, L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, d’après le récit du neurologue Oliver Sacks. L’histoire est celle d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer et prisonnier de ses fonctions cognitives défaillantes, qui retrouve un lien avec son environnement grâce à la musique. La partition de cette œuvre contemporaine est signée Michael Nyman. Si son nom n’est pas connu de tous, sa musique, elle, l’est beaucoup plus. En effet, Nyman a écrit la bande-son de plusieurs longs-métrages et en particulier celle de La Leçon de piano de Jane Campion, Palme d’Or à Cannes en 1993.

Offenbach pour les fêtes

En décembre, ce n’est pas un, mais deux opéras qui nous sont offerts ! Et qui d’autre qu’Offenbach peut mieux nous préparer aux réjouissances des fêtes de fin d’année ? Pour cela, en guise d’amuse-bouche, le studio jouera au Théâtre de la Croix-Rousse Mesdames de la Halle (du 11 au 28 décembre), opéra-bouffe en un acte. Mais c’est l’Opéra qui accueillera la plus grosse des deux productions : Le Roi Carotte (du 12 décembre au 1er janvier), œuvre démesurée et gargantuesque sur un livret de Victorien Sardou. Cet opéra féerique se voulait à l’origine une satire du régime impérial ; mais la chute de ce dernier en 1870 obligea Sardou à retravailler sa copie.

À sa création en 1872, il connut un immense succès public et fut joué aussi bien à New York qu’à Vienne avant de disparaître de l’affiche. Les moyens qu’il nécessite (quarante personnages et de nombreux décors pour six heures de spectacle) n’y sont pas pour rien. Mais cela n’explique pas un tel oubli ni l’absence d’une intégrale enregistrée.

Il va sans dire que l’œuvre présentée à Lyon sera écourtée, l’homme pressé du XXIe siècle n’étant plus capable de soutenir des spectacles d’une telle envergure. Mais cette légère frustration une fois digérée, on a hâte de goûter à la mise en scène de Laurent Pelly, qui nous avait déjà servi, ici à l’Opéra de Lyon, une Vie parisienne du même Offenbach particulièrement savoureuse. La direction sera confiée au jeune Victor Aviat, qui fera ses débuts dans la fosse lyonnaise. Sur scène, on retrouvera Felicity Lott ou encore Jean-Sébastien Bou, dont le rôle sera assurément bien éloigné de celui de Claude qu’il créa en 2013.

Une œuvre de jeunesse de Chostakovitch censurée par Staline

Les festivités passées, retour au drame avec Lady Macbeth de Mzensk (du 23 janvier au 6 février), le deuxième opéra de Chostakovitch. Celui-ci n’a pas vingt-huit ans lors de la création de l’œuvre à Leningrad en 1934. La partition connaît un succès public immédiat et l’œuvre est jouée plus de deux cents fois jusqu’au 26 janvier 1936. Ce soir-là, Staline assiste à la représentation et quitte la salle avant le dernier acte. Deux jours après, La Pravda, journal officiel du régime soviétique, critique la musique de Lady Macbeth de Mzensk. Il n’en fallait pas plus pour stopper net la carrière de cette œuvre du jeune Chostakovitch, pourtant en plein essor. Le compositeur se soumet alors aux canons esthétiques du réalisme socialiste, délaissant l’opéra et exprimant son génie musical dans les œuvres instrumentales. Question de vie ou de mort à l’heure des grandes purges staliniennes…

Pour la première de cet opéra à Lyon, la mise est scène sera confiée à Dmitri Tchernakiov, qui modifiera largement sa précédente production du même opéra à Düsseldorf en 2008. Il n’est pas certain que sa mise en scène fasse l’unanimité, tant ses partis pris sont parfois radicaux. On se souvient des huées qui ont accueilli son Don Giovanni au festival d’Aix-en-Provence en 2010, mais aussi du succès de son Macbeth de Verdi à l’Opéra-Bastille. Que fera-t-il de ce Lady Macbeth de Mzensk, opéra sulfureux (pornographique selon Staline !) dans lequel il est question de meurtres et de détresse sexuelle ? Nous le saurons dans un an mais, n’en doutons pas, Tcherniakov saura prendre toutes les libertés qui lui seront nécessaires.

Un festival de printemps placé sous le signe de l’Humanité

Comme chaque année, l’Opéra de Lyon nous proposera en mars 2016 son désormais traditionnel festival annuel de printemps, dont le thème l’année prochaine sera «Pour l’Humanité». Malheureux hasard du calendrier ou funeste prémonition, toujours est-il que cette annonce fait évidemment écho à l’actualité, qui nous rappelle que les ennemis de la liberté sont toujours à l’œuvre.

Le festival s’ouvrira par une création mondiale : Benjamin, dernière nuit (du 15 au 26 mars). Sur une musique de Michel Tabachnik et un livret de Régis Debray, cet opéra évoque la vie du philosophe juif allemand Walter Benjamin (1892-1940) et ses rencontres avec les plus grandes sommités intellectuelles de son temps (Theodor Adorno, André Gide, Hanna Arendt…), dont le souvenir lui revient au cours de sa dernière nuit. Nuit fatale durant laquelle le philosophe, qui se trouve alors à Portbou, en France, aux portes de l’Espagne franquiste, choisit de se donner la mort pour échapper au régime antisémite de Vichy.

Deux opéras écrits au cœur de la Shoah

Le deuxième volet du festival sera un diptyque formé par les opéras L’Empereur d’Atlantis de Viktor Ullman (du 17 au 24 au Théâtre national populaire de Villeurbanne) et Brundibár de Hans Krása (du 25 mars au 3 avril au Théâtre de la Croix-Rousse). Le point commun entre ces deux compositeurs ? Ils sont tous deux nés en 1899 et morts en 1944. Mais si leur année de naissance est une coïncidence, celle de leur mort n’en est pas une, puisque le lien macabre qui les unis n’est autre que le camp d’Auschwitz, où ils furent assassinés après avoir été emprisonnés tous les deux à Terezin (camp de concentration de transit situé dans l’actuelle République tchèque).

Ullmann y a écrit L’Empereur d’Atlantis sans qu’il n’y fût jamais joué ; quant à Krása, son Brundibár pour voix d’enfants créé dans un orphelinat juif de Prague y connut une cinquantaine de représentations. Le studio de Lyon sera la voix de leur liberté, celle de deux artistes qui, malgré des circonstances dramatiques, ont persévéré dans leur volonté créatrice, même sous la pire et la plus barbare des contraintes.

La Juive par Olivier Py, possible clou de la saison

Troisième et dernier volet de ce festival : La Juive (du 16 mars au 3 avril). Comme Le Roi Carotte, cet opéra a connu un oubli immérité. Après avoir été reçu triomphalement par le public parisien lors de sa création en 1835 et avoir ouvert le Palais Garnier en 1875, cet opéra, l’un des préférés de Wagner (ce qui n’est pas rien !) a complètement disparu de l’affiche entre 1934 et 2007. Imaginer un chrétien qui tombe amoureux d’une Juive ! Jacques-Fromental Halevy (pour la musique) et Eugène Scribe (pour le livret) l’ont fait sous la Monarchie de Juillet.

La Juive est peut-être la production la plus attendue de cette saison de l’Opéra de Lyon. En effet, sa mise en scène sera confiée à l’actuel directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py. Faut-il rappeler ses derniers succès opératiques ? Carmen et Claude sur la scène lyonnaise et un Dialogues des Carmélites plébiscité au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. À la baguette, nous aurons l’honneur d’entendre Daniele Rustioni, qui prendra ses fonctions de chef permanent de l’Opéra de Lyon en septembre 2016 en remplacement de Kasushi Ono.

La Russie à l’honneur

Après le festival, un nouveau diptyque mettra la Russie à l’honneur : Iolanta de Tchaïkovski et Perséphone de Stravinsky (du 11 au 26 mai). C’est une réalisation du Teatro Real de Madrid qui passera cet été par le Festival d’Aix en Provence avant de se produire à Lyon l’an prochain. Les critiques qui ont accueilli ce spectacle sur la scène espagnole en 2012 furent élogieuses. C’est donc avec impatience que nous attendons cette production, d’autant que, pour la première fois, elle nous permettra d’entendre à Lyon le baryton-basse Sir Willard White dans Iolanta, l’actrice Dominique Blanc dans le rôle-titre de Perséphone et le chef grec Teodor Currentzis dans la fosse.

Mozart pour clore la saison

Pour terminer cette saison, nous retrouverons le fougueux Stephano Montanari, chef familier du public lyonnais, qui dirigera L’Enlèvement au sérail de Mozart. L’histoire, bien connue, est celle de Konstanze qui, enlevée par des pirates, a été vendue au pacha Selim. Belmonte, son amant, fera tout pour la récupérer. Mais la surprise, a promis Serge Dorny, viendra de la mise en scène. Bien souvent, les productions de cette œuvre mettent l’accent sur l’humour, le dépaysement et le rocambolesque. Mais Wajdi Mouawad, qui mettra ici en scène son premier opéra, aura pour tâche de parler de rapt et de liberté. On peut donc s’attendre à une production plus sombre qu’à l’accoutumée et influencée ou inspirée par l’actualité, par exemple par les exactions de Boko Haram.

C’est donc bien l’audace, l’innovation et la rareté qui caractérisent cette saison de l’Opéra de Lyon. Serge Dorny a par ailleurs donné quelques indications pour les suivantes : un festival sur Verdi et le pouvoir, du baroque sur instruments anciens, un énigmatique binôme Wagner/Strauss… En attendant, sachons apprécier cette saison hors du commun qui, malgré ses atours austères, nous promet de belles heures artistiques en réunissant autant de talents musicaux, vocaux et scéniques.

 

Opéra de Lyon, place de la Comédie-Lyon 1 / 04.69.85.54.54 / www.opera-lyon.com
Photos © Franchella / Stofleth

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