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À Haïti, l’association Kouraj connaît le poids des mots

Kouraj est une association qui lutte pour les droits des minorités sexuelles en Haïti. Son président, Charlot Jeudy, animera une conférence-débat à Lyon durant la Quinzaine des Cultures LGBT.

Amorcer une révolution des mots avant une révolution des mœurs : c’est le défi qu’entreprend de relever l’association Kouraj en Haïti. Là-bas, on ne parle pas de communauté LGBT mais de communauté M. M comme masisi, makomer, madivin et mix (cf. ci-dessous). «Si l’on veut combattre la discrimination envers cette communauté, il faut d’abord avoir son propre discours pour que la population le comprenne», souligne Charlot Jeudy, président de Kouraj. Dans un pays où l’homosexualité est considérée comme «une affaire de Blancs», employer des mots créoles revêt un caractère important car la communauté se reconnaît mieux à travers eux, ce qui renforce ses revendications identitaires.

haïti masisi kouraj copyright Lorenzo Tassone

En s’affirmant haut et fort, les personnes M ne peuvent plus être ignorées. Pour elles, il s’agit de «prouver qu’il existe une diversité aux Caraïbes» afin de «reprendre leurs droits». «Reprendre» est bien le terme car, comme le rappelle Charlot Jeudy, la Constitution haïtienne (celle en vigueur actuellement, la vingt-cinquième de l’histoire de ce pays marqué par une grande instabilité politique, date de 2012) garantit une égale protection à tous les citoyens, sans distinction. Mais cet atout donné par la loi n’est que timidement reconnu par le personnel politique. Lorsqu’on évoque là-bas la question des droits des personnes M, certains affirment qu’«Haïti n’est pas prête». Ce à quoi Charlot Jeudy répond qu’«Haïti est prête depuis deux cents ans. Depuis que le pays est devenu une démocratie». 

Violence et religion

L’association Kouraj veut briser les tabous qui entourent l’homosexualité en Haïti. Elle se félicite d’être «la première association à avoir levé le voile sur cette question». S’il n’existe pas de loi condamnant l’homosexualité, le pays est en proie à un climat de violence sociale qui touche l’ensemble de la population : «tous les citoyens sont vulnérables. Et les personnes M le sont encore plus».  Et pour cause : les Églises catholique et protestantes «ne ratent pas une occasion de rappeler que l’homosexualité est une abomination». Or, la religion tient une place importante en Haïti : «il y a plus d’églises que d’écoles. C’est le drame de ce pays».

Charlot Jeudy ajoute que les religions s’immiscent jusque dans les salles de classe «parce que l’éducation est contrôlée par le système privé. L’État n’est pas en charge de l’éducation. Il peut donc y avoir des prières dès le matin dans les écoles». Le président de Kouraj estime donc qu’il «reste encore beaucoup à faire» pour faire bouger les choses dans un pays où les violences homophobes sont quotidiennes.

 

 

La communauté M

En créole haïtien, un masisi est une personne qui joue «un rôle féminin» dans sa vie sociale et sexuelle, explique Charlot Jeudy. Les femmes ayant des rapports homosexuels sont pour leur part appelées madivin. Elles se distinguent des «lesbiennes» (tel qu’on entend ce terme en Occident) dans la mesure où elles peuvent n’avoir des relations homosexuelles que de manière épisodique. Quant aux makomers, ce sont des hommes qui ont une identité radicalement féminine. Les makomers ne se reconnaissent pas dans l’appellation «transgenre», car ils peuvent considérer que leur identité n’est pas complètement féminine.

Enfin, le mot «mix» désigne une personne ayant des rapports sexuels aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes. Mais il se peut que des personnes mix se disent hétérosexuelles. En Haïti, le terme «hétérosexuel» désigne des personnes qui revendiquent le fait d’appartenir à la norme, de jouer un rôle social hétérosexuel (être marié-e avec une personne du sexe opposé, avoir des enfants, etc.). Avoir des relations homosexuelles ne les empêche pas d’être perçues comme hétérosexuelles.

 

Lutter pour l’égalité des droits des personnes LGBT en Haïti, un combat social ?
Conférence-débat mardi 23 juin au Centre LGBTI de Lyon, 19 rue des Capucins-Lyon 1

Photos © Lorenzo Tassone pour l’association Kouraj

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