Irène Théry et SOS Homophobie: réécritures de l’histoire


En décernant un prix à Irène Théry, SOS Homophobie fait mine d’oublier que cette sociologue s’est longtemps opposée aux droits des homosexuel-le-s.


 

irène théry heteroclite janvier 2014 copyright Claude Truong-NgocL’écriture de l’histoire est une lutte permanente. Ce qu’on appelle, à un moment donné, l’histoire – voire l’Histoire – est écrite par les dominant-e-s, celles et ceux qui ont les moyens d’imposer leur version des choses. C’est pour cela que les minoritaires n’ont de cesse de faire exister d’autres récits historiques et, selon les formules du philosophe Walter Benjamin, de «brosser l’histoire à rebrousse-poil» et de rendre compte de «la tradition des opprimés» telle que l’histoire des minorités sexuelles, de la traite négrière, de la colonisation, etc.

Ces problèmes ne semblent pas intéresser SOS Homophobie, qui préfère même contribuer aux falsifications de l’histoire. L’association vient en effet de décerner un prix à Irène Théry. Cette sociologue s’est fait connaître par son opposition au Contrat d’union sociale, l’ancêtre du Pacs. En 1997, Irène Théry justifiait qu’un couple homosexuel ne puisse se marier en décrivant le mariage comme «l’institution qui inscrit la différence des sexes dans l’ordre symbolique en liant couple et filiation». Elle pouvait parler de «camionneuses» et de «folles tordues». Elle n’hésitait pas à dénoncer la «conception bouchère de la filiation» prétendument défendue par les mouvements gays et lesbiens, ou la «régression biologisante» que constituaient les revendications du mariage et de l’adoption. Avant de se poser, quinze ans plus tard, comme la figure de proue du progressisme, soutenant le mariage homosexuel et les transformations des structures de la filiation.

Édifiant exemple d’une entreprise individuelle qui a très bien réussi : en maquillant son propre passé et en se proclamant à l’avant-garde, l’arrière-garde récolte de nombreux bénéfices. Mais c’est aussi une histoire collective : si cette reconversion est possible et récompensée, c’est qu’un ensemble de personnes se sont elles aussi converties et ont peu intérêt à rappeler à Irène Théry ses positions passées, qu’elles partageaient à l’époque. C’est notamment le cas du Parti socialiste et d’associations qui lui sont proches. Il faut relire Amours égales ? de Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes (2002) ou Sur cet instant fragile de Didier Eribon (2004) pour rappeler l’hostilité de la gauche gouvernementale envers celles et ceux qui se battaient pour le Pacs, puis pour le mariage homosexuel et le droit à l’adoption. Ce sont ces militant-e-s, ces intellectuel-le-s, ces juristes qui mériteraient d’être récompensé-e-s. Et c’est précisément en raison de leurs actions que Théry ou le PS n’ont pas eu d’autres choix que de revoir leurs positions. Quand Lionel Jospin, en 2012, s’opposait au mariage gay, il ne faisait que rappeler ce qui avait été, pendant si longtemps, la ligne de son parti.

Cela a changé. Tant mieux. Mais n’oublions pas à qui on le doit, et qui, au contraire, a tout fait pour s’y opposer. Et rappelons que les changements ont été bien timides : la PMA est enterrée, le débat sur la GPA est inexistant, les droits des trans attendront. Et on se demande qui SOS Homophobie récompensera dans dix ans. Frigide Barjot ? Ludovine de la Rochère ? Tugdual Derville ?

 

Photos : Irène Théry
Photo 1 © Rhazi Fatima
Photo 2 © Claude Truong-Ngoc

2 commentaires

  • Christophe

    Elle s’est déjà expliquée sur l’évolution de ses opinions. Ici par exemple: http://rue89.nouvelobs.com/2012/12/15/mariage-gay-la-gauche-devrait-dire-cest-genial-ce-quon-fait-237818 C’est dingue aujourd’hui on a pas le droit de réfléchir et de changer d’avis…
    Finir l’article en lui reprochant que “le débat sur la GPA est inexistant” c’est d’une mauvaise foi absolue, parce qu’elle est la seule à vouloir articuler une pensée sur la GPA. http://rue89.nouvelobs.com/2014/04/07/rapport-dessine-enfin-famille-xxie-siecle-251106
    Réfléchir. C’est peut-être la différence avec Frigide Barjot, Ludovine de la Rochère & co

  • Hikiko

    S’informer, lire et savoir de qui, de quoi l’on parle, penser la complexité plutôt que de se précipiter dans l’une ou l’autre des options de prêt-à-penser binaires et simplistes… Cet article participe de plein pied à la réécriture de l’histoire et démontre que l’auteur (dont le travail trop souvent androcentrique semble flirter avec une répulsion à l’encontre du féminisme et des féministes) n’a lu aucun des textes d’I. Théry. Si Foucault était une femme penseuse contemporaine, il aurait sans doute eu droit à la même réaction “basse de plafond” et aux mêmes attaques lorsqu’il dit qu’il s’agit de s’intéresser sur le cas d’une société dans laquelle les “discours” sur la sexualité prolifèrent tandis qu’elle revendique une “libération sexuelle”, lorsqu’il critique le leurre de cette notion. A Michelle Foucault, aussi, on lui aurait craché dessus (pas juste au figuré).

    Ainsi, Irène Théry a critiqué les premiers projets de contrat ou de partenariat homosexuel (CUC, CUCS) car ils contournaient la question centrale à ses yeux : instituer la notion de « couple de même sexe » en droit français. Cette innovation majeure, proposée par Irène Théry dans son rapport au gouvernement, n’était pas non plus présente initialement dans le projet de loi sur le Pacs débattu en 1998. La notion juridique de « couple de même sexe » a finalement été intégrée à la loi sur Pacs en 1999 à travers un amendement sur le concubinage. Cela n’a pas empêché Irène Théry de critiquer le Pacs pour avoir créé trois classes de couples inégales au plan des droits sociaux et fiscaux : mariés, pacsés, concubins.

    Sur le mariage homosexuel, elle a exprimé en 1997-1999 ses réticences : bien que favorable à une union solennelle en mairie, elle était opposée au mariage de même sexe car elle ne voyait pas d’issue à la question de la présomption de paternité, « cœur du mariage » selon le doyen Jean Carbonnier. Pour Irène Théry, une présomption de paternité entre personnes de même sexe n’a pas de sens car c’est une présomption de procréation. Mais lorsque le Parti socialiste a déposé en juin 2006 une proposition de loi sur le mariage homosexuel qui répondait à cette question de façon satisfaisante, elle a d’emblée soutenu cette proposition.

    Sur l’homoparentalité, elle a dès 1998 proposé dans son rapport les mêmes droits pour tous les beaux-parents, y compris l’adoption simple, quel que soit le couple, homosexuel ou hétérosexuel. Mais elle s’est toujours opposée aux approches prônant l’égalité par l’indifférenciation des sexes. Combattant la formule selon laquelle « les homosexuels n’atteignent pas à la différence des sexes », elle développe l’idée que les relations de même sexe relèvent, comme les relations de sexe opposé, de ce qu’elle nomme la « distinction de sexe ». En 1997-99, elle critique l’adoption plénière ou l’accès à l’AMP pour les couples de même sexe s’ils interviennent sans modification du droit commun de l’adoption ou de l’AMP pour tous, elle écrit alors « c’est du côté des pluriparentalités que se trouve l’espoir ». Ses positions ont suscité des controverses parfois très vives.

    Dans ses derniers écrits, son approche « relationnelle » du genre est développée et précisée. Dans Des humains comme les autres, bioéthique, anonymat et genre du don (éd. de l’EHESS, 2010), Irène Théry se rallie à la revendication d’accès des couples de même sexe à l’adoption plénière et à l’AMP, dans la perspective où serait abandonné le modèle traditionnel de filiation mimétique de la procréation. Le droit de l’enfant à son origine et à son histoire permettrait, selon elle, d’instituer un nouveau droit de la filiation à la fois commun à tous et pluraliste…

    Ici Idier, fait l’impasse sur l’extrême violence sexiste (oui clairement sexiste) dont a fait l’objet I. Théry de la part de ses opposants mal informés et idéologiquement bornés. Sans surprise, il fait corps avec un groupe d’universitaires idéologiquement repliés sur eux-mêmes, mâles, cisgenres, blancs qui ont relié tardivement après une longue réticence, superficiellement et de manière opportuniste les courants universitaire du genre. Réécrire l’histoire, vous dites ? Chassez le naturiste, il revient au bungalow. Cet article est d’un tel niveau de mal-information et de désinformation que c’en est affligeant pour Hétéroclite.

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