Précipités #7 : Rébecca Chaillon et Élisa Monteil

Wendy Delorme nous présente ce mois-ci deux comédiennes à la relation fusionnelle : Rébecca Chaillon et Élisa Monteil.

J’ai rencontré Élisa à Paris, lors d’un atelier que j’animais sur la sexualité pendant la grossesse. Enceinte depuis peu, elle réalisait un documentaire sonore pour Arte Radio et voulait mon témoignage. Elle est donc venue chez moi avec son micro pour me faire parler de ventre et de naissance, de corps et d’enfantement. Quelques mois plus tard, elle est revenue me voir avec sa petite Rosa nouvelle-née et son docu radio sur une clef USB. Entre-temps, elle m’avait envoyé une invitation à un spectacle dont elle avait créé le son : L’Estomac dans la peau, un seule-en-scène performé (c’est le mot) par son amie Rébecca Chaillon.

J’avais rarement vu un-e comédien-ne se mettre autant à l’épreuve physiquement, engouffrant les spectateurs dans l’intimité de ses obsessions et de ses boyaux, dévorant en public une quantité peu croyable de choses plus ou moins comestibles, livrant dans un texte magistral les replis les plus intimes du rapport qu’elle entretient à sa chair, à son corps et à ce ventre qui a toujours, désespérément, faim.

J’ignorais encore à quel point les liens d’Élisa Monteil et Rébecca Chaillon étaient denses. Leur complicité grandiose, profonde et poétique, je l’ai découverte cet hiver en programmant leur récente performance au festival OnlyPorn à Lyon. Dans ce duo inspiré par l’histoire vraie d’un amant cannibale, Rébecca dévore Élisa, via un procédé impliquant de la viande crue et un estomac à toute épreuve. La tête des bouchers du marché de la Croix-Rousse lorsque, à la recherche de tous les accessoires nécessaires à cette performance, je leur ai demandé si leur foie de génisse et leur cœur d’agneau étaient assez frais pour être consommés crus….

Alchimie personnelle et artistique

Cette histoire de ventre et d’amitié remonte à 2003, alors que Rébecca et Élisa suivent le même cursus d’études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle, et son commencement a l’allure d’un pacte de sang. Lors d’un cours de théâtre, Rébecca joue tellement à fond qu’elle brise un cadre en verre sur sa main : le sang jaillit. Peu étonnée par l’anecdote, je me rappelle mes frissons et montées en tension lorsque je l’ai vue sur scène. Plus tard, quand Rébecca commence à écrire ses propres textes, elle les donne à lire à Élisa qui suit alors une formation en réalisation sonore.

Élisa Monteil Rébecca Chaillon credit Vinciane Verguethen

Il y a quelque chose d’alchimique dans leur rapport l’une à l’autre, depuis le début. Élisa se rappelle : «dans une impro où il fallait être en contact physique rapproché, une sorte de danse, je me suis dit : “OK, avec le corps de cette fille, je peux m’abandonner”. Cette sensation ne m’a jamais quittée».

Rébecca Chaillon : «j’ai compris qu’avec Élisa, je pouvais tout dire. Ça ne la choquait pas. On se comprenait, on s’entretenait les idées, elles prenaient un peu plus vie à chaque fois qu’on se voyait… On a commencé à s’imaginer comme un duo avec des forces et des idées contraires qui vont dans le même sens, à se découvrir le goût du récit de l’intime, à kiffer nos corps différents, nos énergies différentes, notre expérience, moi de la scène, Élisa de la réalisation…».

Anal kiss

Leur premier spectacle, en 2011, s’intitule Je vous aime bien mais je me préfère. Élisa raconte : «c’était très exaltant et hyper drôle. On cherchait à raconter des choses avec nos peaux, à voir ce que nos peaux pouvaient raconter de nous et des autres. C’est passé par faire des tentatives d’«anal kiss» (une idée de l’artiste Wim Delvoye), se recouvrir de vernis à ongles, se faire tatouer en étant entièrement nue et le filmer, se jeter dans le lac d’Annecy toutes habillées en octobre…».

Sur scène comme au quotidien, leur duo est fantasque, drôle et touchant. Il peut aussi être poignant, comme dans leur spectacle actuel, Monstres d’amour.

Représentation cannibale

Rébecca Chaillon : «ce spectacle vient de l’envie de chercher le rapport manger/être mangé dans la relation amoureuse, d’explorer la violence dont on est capable dans l’amour par amour. De s’amuser de la frontière du réel : manger l’autre dans un couple au sens propre et au sens figuré».

Élisa Monteil : «Lors de la première résidence de recherche pour Monstres d’amour, j’allaitais ma fille qui avait un mois et demi pendant qu’on travaillait sur le cannibalisme… On tenait notre première représentation cannibale ! De là est née la scène dans laquelle Rébecca me tète un sein… Pour ce spectacle, on est sur un mode de collaboration nouveau, puisque c’est Rébecca qui met en scène et nous sommes toutes les deux interprètes. Elle a envie de continuer la mise en scène et j’ai envie d’être plus souvent sur le plateau, donc là encore, on se trouve. Il y a un espace de confiance immense entre nous, mentalement et physiquement, un espace de recherche et de travail génial, dans lequel chacune, je crois, donne à l’autre une place privilégiée».

Rébecca Chaillon : «(Je pleure). (C’est beau c’est doux)».

 

Prochaines dates du spectacle Monstres d’amour et actualités de la compagnie Dans le ventre : www.dansleventre.com
Photo 1 © Émilie Jouvet
Photo 2 © Vinciane Verguethen

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