alex beaupain Les Gens dans l'enveloppe

Alex Beaupain : “je dis «tu» pour ne pas dire «elle» ou «lui»”

Lancé grâce à ses fabuleuses bandes originales pour les films de son ami Christophe Honoré, Alex Beaupain a réussi à se faire une place de choix dans la chanson française, notamment avec les très remarqués 33 toursPourquoi battait mon cœur et Après moi le déluge, parus respectivement en 2008, 2011 et 2013.

Si ses interprétations et mises en musique sont assez sobres, c’est avec ses mélodies et ses textes que l’artiste rayonne véritablement. Aucune place ici pour les gros bras et la pudeur virile est ici très loin : en véritable garçon sensible, Beaupain ne chante que l’amour, qui le renvoie tour à tour au désespoir, à la rupture, à l’absence, à la mort ou à son propre masochisme. Avec son nouvel album sorti le 25 mars, Loin (Capitol Music), Alex Beaupain poursuit sa variation autour des thèmes du deuil, de l’amour et du temps qui passe. Rencontre avec un homme «heureux de faire des chansons tristes».

alex beaupain loinDans ce nouvel album, comme dans le précédent (Après moi le déluge, 2013), l’amour est souvent triste et vous fait adopter des postures masochistes. Une relation d’amour est-elle forcément SM ?

Alex Beaupain : Oui, je crois, à partir du moment où il y a un peu de passion pour pimenter les choses et les rendre intéressantes. Mais je ne suis pas que maso. Il y a des chansons où je suis très méchant aussi. Je crois que les deux positions m’intéressent.

 

Et la quiétude ? L’amour qui apaise ?

Alex Beaupain : Dans l’écriture, c’est sûr que cela m’intéresse moins. Dans la vie, c’est différent. Ma vie est beaucoup moins intéressante que mes chansons ! Mon album précédent contenait une chanson dans laquelle j’avais un plan cul à chaque arrêt de métro. Plein de gens, fascinés, me questionnait avec curiosité : «alors ? Alors ?». Ben alors… Non ! Ce serait super pourtant, car c’est une ligne que j’emprunte souvent… Lorsque l’on écrit, il faut partir de l’intime mais, si on veut que ce soit une chanson et non un témoignage de téléréalité, on force le trait, on rajoute du lyrisme, que ce soit par la musique ou par le texte.

heteroclite alex beaupain copyright frederic stucin

Quelle différence faites-vous entre Après moi le déluge et Loin ? Leurs thèmes sont très proches… Que raconte le second que le premier ne racontait pas déjà ?

Alex Beaupain : Je reviens avec des chansons sur le deuil, ce que je n’avais pas fait depuis un moment. J’ai perdu mon père il y a un an et demi, j’avais déjà perdu ma mère… Donc ça y est : ma sœur et moi, on est orphelins, c’est nous les prochains ! Et puis, j’ai quarante-et-un ans. L’espérance de vie pour un homme en France est de quatre-vingt-deux ans… Je suis à la moitié de ma vie, donc je suis foutu ! Peut-être que Loin est, de ce fait, un peu plus rétrospectif. Peut-être que je me retourne un peu plus sur le passé, qu’il parle davantage que les albums précédents du temps qui passe.

Je pense, ceci dit, que les chanteurs et chanteuses racontent tout le temps la même chose. On a un ou deux thèmes que l’on creuse d’album en album. Ce qui est intéressant, c’est de voir combien de chansons on peut faire sur un même thème à des âges différents, avec des arrangements différents. À une époque, je me suis dit : «les chansons sur le deuil, ça suffit ! Tu vas devenir un chanteur de cimetière…». Et, en fait, je crois que j’aime bien me dire, non pas, «je vais en réécrire une», mais «comment je vais en réécrire une ?».

C’est comme une variation autour d’un même thème ?

Alex Beaupain : Oui, comme font les peintres. C’est une idée artistique qui me plait.

Alex Beaupain (Cession de droit presse hors achat d'espace pour Capitol Musique France jusqu'à février 2018) Paris, 5 février 2016 ©Frédéric STUCIN

Dans vos textes n’apparaissent ni «il», ni «elle», ni aucun marqueur de genre… C’est voulu ?

Alex Beaupain : Oui et ce n’est pas une technique pour me planquer ! Je dis très clairement que je couche avec des garçons et avec des filles. Et c’est très bien que cela se retrouve dans mes chansons. Et puis, j’aime aussi l’idée que lorsqu’un chanteur dit «toi», il faut pouvoir l’écouter en se disant : «c’est à moi qu’il s’adresse». Qu’on soit un garçon ou une fille. C’est ce que fait aussi Daho, qui est dans les mêmes problématiques que moi ! C’est vraiment fait exprès.

Je ne dirais jamais «belle» ou «beau». Je dis «tu» pour ne pas dire «elle» ou «lui». Lorsqu’on prononce «joli», on ne sait pas s’il y a un «e» final ou non, mais quand on écrit les livrets d’un disque, c’est plus compliqué. Dans une de mes chansons précédentes, À la mer, il y a cette phrase : «toi seul sera rescapé». Faut-il l’écrire avec des «e» ou pas ? Finalement, j’ai opté pour cette orthographe fausse : «toi seul sera rescapée».

Votre public a t-il changé depuis vos débuts ?

Alex Beaupain : Mon public vieillit, comme moi ! Déjà qu’il était vieux à la base… J’ai aussi remarqué que je suis un peu le Chantal Goya de la chanson française, car les enfants aiment beaucoup mes chansons. Des gamins de huit ou neuf ans connaissent certaines d’entre elles par cœur. Je crois que c’est parce que quand on est môme, on aime la tristesse : on regarde E.T. et on adore. La mélancolie plaît aux enfants. À l’adolescence, on est davantage dans le lyrisme. Donc, pour résumer, mon premier public va bientôt mourir mais les gamins derrière vont rappliquer !

alex beaupain credit photo Frederic Stucin

Une partie de votre public appartient à la communauté LGBT. La soutenez-vous ?

Alex Beaupain : Oui, bien sûr. Même si je ne suis pas une furie révolutionnaire, c’est évident. Au moment des débats sur le mariage pour tous, je suis allé chanter au Théâtre du Rond-Point à Paris. Cela me semblait important. J’ai aussi fait des manifs, parce que ça me gonflait de voir ces bandes d’abrutis dans la rue. J’ai signé des pétitions… J’ai longtemps défendu l’idée que l’interdiction faite aux couples homos de se marier était antirépublicaine. Elle me posait problème parce qu’elle créait une distorsion des droits. Comme la déchéance de nationalité, d’ailleurs.

Vous avez pourtant un passif avec Hollande : il a utilisé votre chanson Au départ au début de ses meetings…

Alex Beaupain : Une chanson qu’il a reprise à Martine Aubry : c’est elle qui l’a utilisée en premier !

Cette chanson établissait un parallèle entre une histoire d’amour et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Les espoirs, les illusions, puis le désenchantement…

Alex Beaupain : Hollande aurait mieux fait de l’écouter !

C’était justement là la question…

Alex Beaupain : Je n’ai aucun problème à dire que j’ai voté Hollande. Je n’aime pas les chanteurs qui restent tièdes sur leurs opinions politiques afin de ne pas perdre une partie de leur public ; ça m’énerve.

Votre chanson lui a porté la poisse ?

Alex Beaupain : Il n’en avait pas besoin ! Oui, je suis déçu, je le dis parce que c’est vrai. Je suis très déçu. Après, je le savais ! Mais je ne pensais pas que cela arriverait aussi vite…

 

Alex Beaupain (avec Laurie Darmon), vendredi 20 mai à la salle Jeanne d’Arc, 16 rue Jean-Claude Tissot-Saint-Étienne / www.paroles-et-musiques.net

Les Chansons d’amour de Christophe Honoré, dont Alex Beaupain signe la bande-originale, est disponible en streaming sur le site d’Arte jusqu’au 30 septembre 2020.

Photos © Frédéric Stucin

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