« Le monde du sport est propice à l’homophobie »

Homophobes, les sportifs ? Voilà plusieurs années que la question taraude les associations LGBT, au point de devenir une sorte de serpent de mer.  À l’Université Lyon I, l’Unité de Formation de Recherche (UFR) de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) semble en tout cas prendre très au sérieux la question de l’homophobie et de l’égalité dans le sport.

Les 15 et 16 juin, le campus de la Doua accueillait un colloque sur le sport, les discriminations et l’homophobie, prélude à un nouveau master, Égal’APS, qui ouvrira à la rentrée 2016 et portera sur l’égalité dans et par les pratiques sportives. Rencontre avec Noémie Drivet, étudiante, qui vient de réaliser avec Matthieu Pocard un mémoire en forme d’état des lieux de l’homophobie dans l’UFR de STAPS.

 

Pourquoi vous êtes-vous intéressés à l’homophobie en STAPS ?

Nous avons réalisé notre enquête dans le cadre de notre mémoire de master d’enseignement. Notre vécu de sportifs (dans le judo en particulier) et notre passé de collégiens, de lycéens et d’universitaires nous ont fait réaliser que les milieux scolaires et sportifs sont propices à l’homophobie. Lors de stages avec des enseignants, nous avons entendu beaucoup d’insultes homophobes venant d’élèves comme de professeurs. À l’origine, nous voulions nous intéresser uniquement à l’homophobie entre les élèves, mais ensuite nous avons réalisé que, pour que les enseignants réagissent et se comportent autrement, il fallait se pencher également sur leur formation, sur ce qui se fait en STAPS.

 

Comment votre démarche a-t-elle été reçue par vos enseignants et les étudiants ?

homophobie staps sport ufr lyon nawakNous nous sommes d’abord dirigés vers une enseignante sensible aux questions d’égalité entre les sexes et entre les sexualités, enseignante qui nous a encouragés. Nous avons eu deux réactions négatives de la part des enseignants lorsque nous avons publié une affiche (ci-contre) pour inviter les étudiants à répondre à notre questionnaire. Ils nous ont demandé de la retirer parce qu’ils estimaient qu’elle donnait l’impression que les professeurs d’EPS sont homophobes, ce qui leur paraissait une image mensongère.

Mais le thème de l’affiche gênait lui aussi : l’homophobie n’est pas un sujet dont on parle en STAPS. On parle un peu d’égalité fille-garçons en dernière année de formation et c’est tout. C’est pour cela que j’appréhendais un peu la réaction des étudiants, mais ils nous ont plutôt encouragés. Nous avons diffusé notre enquête sur Facebook à partir de janvier 2016 et avons obtenu 190 réponses. Ensuite, nous sommes allés à la rencontre des étudiants pour la diffusion de l’enquête et nous avons obtenu au total plus de 400 réponses (sur 2 143 étudiants).

 

L’homophobie n’est donc pas un sujet de controverse en STAPS ?

Non. Si nous n’avions pas amené le sujet dans l’UFR, on n’en parlerait pas. Mais notre démarche a amené les étudiants à s’intéresser à la question et à en débattre, car certains pensent que les insultes homophobes sont acceptables quand elles se veulent humoristiques.

 

Sur quels points avez-vous interrogé les étudiants ? Quels sont les résultats ?

Nous leur avons demandé leur sexe, leur niveau d’études, le sport qu’ils pratiquent, leur orientation sexuelle et s’ils avaient des amis homosexuels. Nous les avons également interrogés sur leur conception de l’homosexualité. 75% considèrent que c’est une orientation sexuelle comme une autre, 25% la considèrent comme déviante. Ce dernier chiffre est plus important chez les hommes et ceux qui n’ont pas d’amis homosexuels. Notre principal constat, c’est que les insultes homophobes au quotidien font partie du langage des étudiants. Elles sont particulièrement courantes dans les vestiaires et lors des pratiques sportives. 66% des étudiants disent entendre des insultes homophobes entre une fois par jour et une fois par semaine. Les insultes sont plus utilisées par les hommes et envers les hommes.

Pour 21% des étudiants, les termes «pédé» ou «gouine» ne sont pas des insultes. Pour 41% des interrogés, c’est une insulte selon le contexte. Pour quelques-uns d’entre eux, c’est même un mot affectif. Les étudiants utilisent ces insultes pour stigmatiser un échec, une tenue vestimentaire, une peur, une performance d’un garçon plus faible que celle d’une fille. Trois interrogés sur cinq affirment que lorsqu’ils seront enseignants, ils interviendront face à des insultes homophobes, mais la moitié d’entre eux disent aussi qu’ils n’auront pas les mots et les connaissances pour aborder le sujet avec leurs futurs élèves. Il y a clairement un manque de connaissance sur les conséquences de ces insultes.

 

Comment vit-on l’homosexualité à l’UFR de STAPS ?

Nous n’avons rencontré qu’un seul étudiant homosexuel en entretien. Il craignait qu’intégrer la question de l’homosexualité dans la formation de STAPS fasse augmenter la fréquence des insultes et fasse passer les homosexuels pour un groupe à problème. Cet étudiant ne parle pas de son homosexualité en STAPS, ni dans son milieu sportif d’entraînement, car il anticipe des réactions négatives de la part de ses amis. Un autre étudiant est la cible régulière d’insultes homophobes en raison de son habillement et parce qu’il s’épile les jambes. Il nous a confié qu’il restait dans les vestiaires le moins longtemps possible et qu’il avait modifié sa tenue vestimentaire. Il y a donc une culture du placard qui s’est développée. Mais les étudiants qui ont des amis homosexuels sont conscients du caractère pesant de ces insultes, surtout lorsqu’elles sont aussi régulières.

 

Quelles sont vos propositions pour lutter contre l’homophobie par le sport dans le milieu scolaire ?

Nous pensons qu’il faut que les futurs professeurs reçoivent une formation au sujet de l’homophobie. Le milieu du sport est plein de préjugés, concernant par exemple des pratiques sportives qui seraient pour les filles et d’autres qui seraient pour les garçons. Les luttes contre l’homophobie et contre le sexisme sont liées et combattre l’homophobie dans le milieu du sport suppose donc de décloisonner les pratiques, les attitudes masculines et féminines. Ce qu’il faut défendre, c’est la liberté de pratiquer le sport qu’on veut comme on veut. Il faudrait que les étudiants et que nos formateurs aient plus de connaissances sur les conséquences et les enjeux de l’homophobie. Cela pourrait se faire en collaboration avec des associations. Notre directrice de mémoire avait demandé en 2014 une intervention de SOS Homophobie, mais elle a été refusée par la faculté.

Les professeurs ont également un rôle important à jouer. Je suis en stage depuis un an dans un collège et lorsque j’entends des insultes homophobes, j’interroge les élèves sur le sens qu’ils leur donnent. Mais comme je suis la seule dans l’établissement à les reprendre, ils m’ont vite posé des questions sur ma vie amoureuse… Cela ne va pas m’empêcher de continuer à réagir, mais cela peut me mettre dans une position difficile. Faire réfléchir les jeunes sur les conséquences de leurs mots s’avère selon moi plus fructueux que de les sanctionner.

1 commentaire

  • Benjamin

    Ce que ce mémoire n’aborde pas vraiment c’est que la clé, ce n’est pas seulement la lutte contre l’homophobie, c’est aussi la “promotion” de l’inclusivité. La déconstruction des préjugés homophobes est intéressante.

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