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Brontez Purnell : “je suis un homosexuel de la vieille école !”

Ça aurait dû être notre premier “grand entretien” de la saison. Mais les impératifs d’une tournée européenne (vingt-quatre dates rien que pour le mois de septembre !) en ont décidé autrement et les réponses de Brontez Purnell aux questions que nous lui avions envoyées ne nous sont parvenues qu’après le bouclage de notre numéro de rentrée…

Qu’à cela ne tienne ! On vous les livre ci-dessous. Car il serait quand même dommage de passer à côté de cet artiste à la créativité insatiable : chanteur, musicien, danseur, performeur, chorégraphe, écrivain, acteur… Ex-camarade de scène de Seth Boggart (Hunx & His Punx) au sein de Gravy Train!!!, Brontez Purnell sera en concert au Sonic à Lyon samedi 17 septembre avec son groupe The Younger Lovers. Originaire d’Oakland, près de San Francisco, ce trio qui sonne un peu comme une version queer des Ramones sortira bientôt un quatrième album de chansons ultra-speed et ultra-courtes, parfaites pour la scène.

Il semble que tout ait commencé avec votre fanzine queer (Fag School), c’est bien cela ? Qu’est-ce qui vous a poussé à le créer ? Est-ce que vous le publiez toujours ?

Brontez Purnell : Pour faire simple, j’étais un gamin punk et j’ai commencé à créer des fanzines à l’âge de quatorze ans, quand je vivais dans l’Alabama. J’ai commencé à écrire Fag School en 2001 mais le premier numéro n’est sorti qu’en 2003. Je me considère comme un petit frère (parce que j’ai raté le train !) de tout le mouvement punk homocore. Fag School est mon hommage tardif à ce mouvement. Je voulais faire un fanzine qui traite à parts égales de musique et de littérature. J’étais heureux que Fag School laisse sa marque !

Durant ses treize ans d’existence, je n’ai sorti que quatre numéros parce que je suis un gros branleur MAIS je viens de commencer à travailler sur le prochain numéro. J’ai publié l’an dernier un livre qui s’appelle Johnny, m’aimerais-tu si j’avais une plus grosse bite ? et un autre paraîtra l’an prochain, Depuis que j’ai déposé mon fardeau. Et donc avec l’écriture de ces livres, ça a été dur de garder le rythme du fanzine mais je fais de mon mieux.

Dans une interview donnée à Kathleen Hanna (chanteuse des groupes Le Tigre et Bikini Kill), vous avez déclaré que vous vous considériez comme un homosexuel de la vieille école, pas comme une personne queer. Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Est-ce que cela signifie que vous vous sentez parfois en décalage avec la scène queer ou avec la nouvelle génération de gays ?

Brontez Purnell : Je suis sûr que je ne devrais pas le dire mais oui, je suis un vieil homme grincheux et oui, je parle souvent de moi-même comme d’un homosexuel de la vieille école. C’est surtout une blague, mais, étant donné que je vis dans la région de San Francisco depuis si longtemps, j’ai parfois l’impression d’être coincé dans le neuvième cercle de l’enfer des politiques de l’identité. J’ai entendu bien trop souvent le mot queer être utilisé à la légère par des gens qui souhaitent assumer une identité politique et j’ai parfois l’impression que l’usage du mot respecte la lettre de la loi mais pas son esprit, vous voyez ?

J’aime la nouvelle génération de personnes queer : moi aussi, à mon époque, j’ai fait partie de la “nouvelle” génération et moi aussi, j’ai fait chier les queers plus âgés avec mon attitude de “je sais mieux que vous”. Donc, j’ai beaucoup d’amour pour les jeunes queers qui tentent de s’en tirer comme ils peuvent mais parfois je déteste la façon dont chaque génération veut s’affranchir du passé et croit que tout ce qui existait avant est stupide, dépassé et n’a rien à lui apprendre. L’un dans l’autre, j’essaye ne pas être une sale garce et simplement de la fermer.

La sexualité est une dimension essentielle de votre travail et vous semblez être à l’aise avec cela. Êtes-vous parfois réticent à l’idée de partager votre intimité, que ce soit en écrivant sur votre vie sexuelle dans vos livres ou en dansant et en présentant des performances nu ? Quelles sont vos limites ?

Brontez Purnell : Je crois que j’écris sur le sexe d’une façon qui n’est pas très sexy. Quand j’écris sur le sexe, je parle le plus souvent de ce qui n’a pas marché ou pourquoi c’était une expérience drôle ou tragique. J’écris sur le sexe d’une manière très humaine, de façon à ce que l’homme ou la femme de la rue puisse le lire et se dire : “oh, je m’identifie à cela ou cela fait sens pour moi”. Ma limite, c’est de m’assurer que j’écris sur des faits éloignés, sur une situation qui s’est produite il y a des années. Je n’écrirais jamais sur mes relations récentes.

En ce qui concerne la nudité, j’ai étudié la danse et le théâtre et la première chose qu’on apprend sur la nudité en tant qu’outil scénique, c’est que la nudité est différente de la sexualité. La nudité peut être un moyen d’atteindre une forme de simplicité ou, plus souvent, un moyen de protestation. Quand je suis arrivé à San Francisco, j’étais jeune et un peu enrobé, même si j’avais perdu 45kg (je faisais 120kg au lycée !). Donc pour moi, la nudité était une façon d’assumer mon corps et de l’aimer. C’était l’épreuve du feu ! Quand j’avais vingt ans et que je faisais partie de Gravy Train!!!, je secouais ma bite dans tous les sens sur scène et c’est là que j’ai réalisé à quel point les gens – et SURTOUT les autres hommes gays – pouvaient se révéler de véritables fascistes pour tout ce qui touche au corps.

Il y avait des photos de moi à poil sur Internet et des petits blancs maigrichons me descendaient en flammes dans les commentaires mais je m’en foutais. Je m’éclatais ! Je ne vais pas m’apitoyer sur mon sort parce que je n’ai pas des tablettes de chocolat et une bite de trente centimètres. Mon corps est magnifique ! Mon corps est libre ! Je chante le corps électrique… [Ndt : I Sing the Body Electric est un poème du grand poète homosexuel américain Walt Whitman, tiré du recueil Feuilles d’herbe (1855)].

Quel genre de musique écoutiez-vous lorsque vous étiez enfant ou adolescent ? Quel-le-s musicien-ne-s vous ont influencé ?

Brontez Purnell : J’étais choriste à l’église et par conséquent, la plupart de mes racines viennent de la musique baptiste du Sud des États-Unis. Mon grand-oncle, J. J. Malone, était un bluesman qui jouissait d’une petite célébrité. Il s’est installé à Oakland dans les années 60 pour jouer de la musique et j’ai suivi son exemple quarante ans plus tard ! Il m’a appris des trucs à la guitare et il a été musicien de studio pour Creedence Clearwater Revival et Etta James. Il était cool ! J’ai grandi en écoutant surtout du R’n’B des années 90 et au collège, je me suis mis au punk.

Au lycée, j’étais DINGUE du label Kill Rock Stars. Genre, j’ai acheté quasiment tout leur catalogue ! Bikini Kill et Bratmobile étaient mes groupes favoris et j’écoutais aussi beaucoup de groupes locaux. Quand j’étais en Seconde, un prof m’a dit que les homosexuel-le-s étaient des erreurs génétiques et ça m’a blessé. J’ai écrit une lettre à Kathleen Hanna pour lui en parler et elle m’a répondu. Le forum Internet de Kill Rock Stars était aussi un bon endroit où rencontrer des gamins qui s’emmerdaient et qui partageaient mon état d’esprit. C’est là que j’ai rencontré Hunx, mon ancien partenaire musical. On s’échangeait des fanzines et des cassettes quand on était ados ; il vivait dans l’Arizona et moi dans l’Alabama. Plus tard, j’ai rejoint son groupe.

Le choix de faire de la musique punk s’est-il imposé à vous comme une évidence ? Est-ce que vous avez rencontré du racisme, de l’homophobie ou du sexisme au sein de cette scène musicale ?

Brontez Purnell : Tout le temps ! Mais pour être honnête, je pense également que les mouvements punk et do it yourself m’ont montré tellement d’amour et m’ont accordé une telle confiance que je n’y pense pas tout le temps. Il y a bien un mec d’un label qui m’a dit une fois que ce serait plus facile pour The Younger Lovers si nous étions des gars blancs du sud de la Californie.

Vous venez de Huntsville, dans l’Alabama. Comment est-ce de grandir dans le Sud profond des États-Unis, surtout quand on est un gamin noir et gay ?

Brontez Purnell : J’étais un enfant battu. C’est pour ça que je suis un passif sado-maso. Mais je crois qu’au final, tout est bien qui finit bien.

Et pour finir, l’inévitable question politique. Il y a l’air d’avoir beaucoup de personnes queers de couleur dans le mouvement Black Lives Matter : qu’est-ce que cela représente pour vous en tant qu’artiste noir et gay ? Qu’est-ce que cela dit des relations entre les deux communautés ? Et quel impact cela a-t-il sur votre propre travail ?

Brontez Purnell : Les premières personnes à avoir lancé le mot-dièse #BlackLivesMatter sur Twitter étaient des personnes queers, donc je pense que les deux choses sont assurément liées. Je ne sais pas. Je suis clairement un afro-pessimiste : je pense que les descendant-e-s d’Africain-e-s sont généralement confronté-e-s à des difficultés, sinon à leur effacement total, pour des raisons structurelles, liées à l’histoire de l’esclavage ou de la colonisation. Et cela me pèse beaucoup, pour être franc. Bien sûr, j’apprécie que l’on s’intéresse à nouveau à ces questions. Mais j’ai l’impression que c’est le même message que l’on revisite encore et encore quand la violence contre les corps noirs atteint des niveaux répugnants. J’apprécie le mouvement Black Lives Matter (“les vies noires comptent”), mais je veux aussi dire que ma vie noire “comptait” bien avant que ce mot-dièse ne soit en tête de liste sur Twitter.

 

The Younger Lovers, samedi 17 septembre au Sonic, 4 quai des Étroits-Lyon 5 / www.facebook.com/events/1788387201426036

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