Musique, religion, homophobie : Cameron Carpenter se dévoile

Après avoir ouvert la saison 2016-2017 de l’Auditorium de Lyon, l’organiste américain Cameron Carpenter se confie sur ses rapports à la musique, mais aussi sur son style si particulier, à l’opposé de celui d’un organiste d’église traditionnel.

À quel âge avez-vous découvert l’orgue et comment s’est déroulé votre rencontre avec cet instrument ?

Cameron Carpenter : C’est mon père qui m’a offert un orgue quand j’avais quatre ans. Je ne pourrais pas dire exactement la sensation que j’ai eue la première fois que j’ai touché le clavier, mais j’ai tout de suite ressenti quelque chose lié à la notion du temps. Quand on tient une note, le son se poursuit et ne faiblit pas. C’est la principale qualité de l’orgue et cela offre un potentiel énorme que n’ont pas les autres instruments. Cela place le musicien dans une relation au temps et à l’énergie différente de celle qu’on peut avoir avec la voix humaine ou d’autres instruments, dont le son décline progressivement. J’aime voir cela comme une fulgurance astrophysique et mathématique. Je pense que l’orgue est très proche du monde physique et qu’il est en quelque sorte lié au corps humain.

Vous révolutionnez le monde de l’orgue en élargissant son répertoire et en sortant même cet instrument de son contexte religieux, suscitant parfois des réactions hostiles. Comment le vivez-vous ?

Cameron Carpenter photo copyright Thomas GrubeCameron Carpenter : Je n’ai rien à faire de ce que les autres pensent de moi. Quant à l’Église, elle fait ce qu’elle peut pour survivre et pour contrôler les gens. Pendant des siècles, elle a utilisé l’orgue car c’est un instrument très psychologique. Il possède une dynamique très étendue du son, le plus grand choix de timbres et bien sûr un son qui dure. Il est naturel que l’Église l’utilise pour impressionner les gens mentalement et même leur faire peur en invoquant des moyens superstitieux.

Les gens qui croient en Dieu, en particulier les catholiques et les protestants, ne considèrent leurs croyances que sous l’aspect de la menace. C’est la différence entre une personne qui raisonne et une personne qui est guidée par la peur. On peut dire que Socrate n’a jamais existé, je ne m’en sens pas affecté pour autant. Par contre, si vous dites que Dieu ou Jésus n’existe pas, ces personnes se sentent offensées. Quant aux réactions hostiles, c’est une bataille d’ordre religieux plutôt qu’artistique ! Cela ne m’intéresse pas. Je le redis : si quelqu’un a un problème avec moi, il n’a qu’à passer son chemin.

Dans le documentaire qui vous est consacré, The Sound Of My Life (disponible en DVD) ou bien dans les commentaires visibles sur YouTube, vous êtes la cible de critiques très virulentes, qui portent bien plus sur votre style ou votre look que sur votre talent. Comment réagissez-vous à ces attaques ?

Cameron Carpenter : Il faut reconnaître qu’il y a beaucoup d’homophobie dans ces attaques, mais je ne veux pas me faire passer pour une victime. J’ai eu la chance d’être épargné sur cet aspect-là alors que l’homophobie fait souffrir beaucoup de gens. Concernant ces critiques, je ne trouve pas productif de passer son temps à analyser tout ça, même si parfois ça peut être drôle de lire les idioties de tels imbéciles.

Toujours dans le documentaire, on vous entend dire que vous avez besoin de discipline. Par ailleurs, David Dubal, un de vos professeurs à la Juilliard School, dit que vous étiez rebelle. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

Cameron Carpenter copyright Thomas GrubeCameron Carpenter : Je ne pense pas que ce soit contradictoire. Les gens pensent qu’un rebelle manque de discipline, mais ce n’est pas toujours le cas. Moi-même, je me considère comme quelqu’un de très discipliné. Il me serait impossible de jouer les sonates en trio de Bach sans une certaine rigueur et ce n’est pas obligatoirement quelque chose de négatif ou de totalitaire. Par contre, je pense que la société et même la musique dite académique ont besoin de rébellion pour être démystifiée.

Aujourd’hui, être catalogué comme rebelle, c’est bon pour le marketing mais c’est aussi un peu contrariant. En fait, beaucoup de personnes rebelles, qui ont rompu avec la société, les conventions et l’académisme, ont gardé une certaine discipline. Je pense notamment à des écrivains comme Christopher Hitchens ou même à des scientifiques comme Nikola Tesla : des gens très disciplinés mais rebelles dans leurs milieux et qui nous ont amenés à penser autrement. Ces personnes m’inspirent énormément.

Vous avez composé plusieurs pièces pour orgue ; avez-vous d’autres projets en cours ?

Cameron Carpenter : J’ai composé, mais j’ai arrêté. Je considère ma musique sans valeur. Je n’ai donc pas d’ambition en tant que compositeur. Peut-être qu’un jour cela reviendra, mais je pense que mes qualités sont plutôt dans le domaine de l’improvisation. Parfois, je me dis que je ne suis pas né à la bonne époque. Je pense que si j’étais né au début du XXème siècle, j’aurais pu avoir une immense carrière dans l’accompagnement de films muets… J’aime malgré tout vivre aujourd’hui. J’ai mon propre orgue et cela n’aurait pas été possible auparavant.

Mais, pour en revenir à la composition, non je n’ai aucun projet. Peut-être dans quelques années… Mais j’ai de sérieux doutes. Je commence à penser que je ne jouerai pas du classique toute ma vie, même si je ne sais faire que ça. L’orgue est un instrument formidable, mais il implique un style de vie assez limité. C’est une des raisons pour laquelle j’essaye de l’ouvrir au monde. Il y a tant de musiques différentes et de choses à faire. C’est ce qui rend ma vie meilleure et intéressante.

Vous reverra-t-on bientôt à Lyon ?

Cameron Carpenter : Bien sûr ! J’aime venir à Lyon qui est une ville magnifique. On mange tellement bien ici. C’est une des meilleures villes pour la gastronomie. Quand j’étais enfant, j’étais déjà venu chanter à la basilique de Fourvière mais je n’en ai plus beaucoup de souvenirs. Je reviendrai donc à Lyon et, la prochaine fois, ce sera avec mon propre orgue.

 

Traduction : Zakia Bouakoura

Photos © Thomas Grube

 

www.cameroncarpenter.com

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