Daniel Guérin, l’amant et le révolutionnaire

L’Autobiographie de jeunesse de Daniel Guérin, aujourd’hui rééditée, est l’occasion de redécouvrir le parcours d’un militant à l’énergie inépuisable.

Tour à tour socialiste, communiste, trotskiste, anarchiste, toujours anticolonialiste, Daniel Guérin (1904-1988) est aussi, précocement, un militant homosexuel qui, dès le milieu des années 1950, publie des articles dénonçant «la répression de l’homosexualité» et rejoint, à presque soixante-dix ans, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR).

De cet engagement-là découlent tous les autres. Cette Autobiographie, parue pour la première fois en 1971, est sous-titrée D’une dissidence sexuelle au socialisme. À l’intention des plus puritains de ses camarades révolutionnaires, Guérin ajoute d’ailleurs que ce récit est à lire comme un prologue à son travail d’historien des luttes et ne saurait en être détaché.

Il raconte ici son enfance (passée dans un milieu intellectuel bourgeois) et le double éveil, à une sexualité susceptible de perturber un certain ordre social et à une conscience politique elle aussi contestataire. Les premiers émois font place à une sexualité beaucoup plus débridée. Sans qu’une conscience militante soit encore vraiment développée chez lui, Daniel Guérin affirme tôt, et crânement, ses préférences : à vingt-cinq ans, il publie un roman assez transparent pour faire office de coming out auprès de l’ensemble de la famille.

Le récit de cet épisode n’occupe que quelques lignes, comme si l’essentiel était ailleurs. Car les amours de Guérin sont des amours masculines, mais surtout prolétaires, qui constituent un «défi à [s]a classe». Le livre se clôt sur le dégoût ressenti à Beyrouth face aux mœurs coloniales, et le choix de se constituer une solide bibliothèque socialiste (Marx, Trotski, Proudhon, etc.) : les engagements qui seront ceux de Guérin tout au long de sa vie sont définis.

Des combats parfois contradictoires

Sans doute, ces différentes causes (gay, anticolonialiste, socialiste) entrent parfois en contradiction. On est de fait un peu éberlué de voir Guérin exalter les «bruns appâts méditerranéens» d’un matelot ou, dans un style fleuri où affleure un mépris de classe certain, s’extasier sur le «pittoresque et mâle accoutrement», «l’animalité franche et familière» de ses amants ouvriers. L’appendice final, À la recherche de clés sexologiques, suscite une gêne similaire : Guérin revient sur son parcours en se désignant comme un «patient» dont le cas est à élucider. Voilà qui, aujourd’hui, ressemble davantage à un acte de contrition à l’égard des normes hétérosexuelles qu’à un geste revendicatif, si l’on oublie à quel point la sexologie a pu être un temps une ressource pour relativiser ces normes.

Sans doute est-il plus juste de voir là les traces d’un chemin que Guérin, l’un des premiers, a défriché, chemin dont nous nous sentons par moments bien éloignés, mais qu’il lui aura fallu parcourir pour se forger des outils de compréhension et d’action adéquats.

 

Autobiographie de jeunesse – D’une dissidence sexuelle au socialisme de Daniel Guérin (éditions La Fabrique)

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