Arthur Dreyfus

Arthur Dreyfus : “en tant qu’homosexuel, je me méfie de la religion”

L’écrivain Arthur Dreyfus publie en ce début d’année un nouveau roman, Sans Véronique, et participe également à un ouvrage collectif dans lequel trente personnalités tentent de répondre à la question Qu’est-ce que la gauche ?.

Sans Véronique est présenté comme l’histoire d’un mari qui perd son épouse dans un attentat. Pourtant, cet acte de terrorisme semble n’être qu’un prétexte. Le fond du roman n’est-il pas plutôt l’exploration du parcours de Bernard, un homme qui a tout de l’antihéros ?

Arthur Dreyfus : J’aime beaucoup cette idée d’antihéros, c’est tout à fait ça. Bernard n’a pas les qualités du héros traditionnel. C’est un personnage qui se dessine par ses faiblesses, sa fragilité, sa grandeur humaine. Établir le portrait de Bernard était même le projet principal du livre, bien plus qu’écrire l’histoire d’un homme dont la femme succombe dans un attentat. Sans Véronique, c’est surtout Avec Bernard.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire sur cet homme ?

Arthur Dreyfus : Pour moi, Bernard est une réflexion sur la fragilité et la force des hommes. C’est un gars robuste, solide, qui semble pouvoir résister à toutes les épreuves. On pourrait même penser qu’il a peu de sentiments. Mais dans l’épreuve qu’il traverse, il se rend compte qu’il n’est pas aussi solide qu’il le croyait, qu’il est très fragile, que les sentiments qu’il portait à son épouse sont beaucoup plus forts qu’il ne le pensait. Sans elle, il se retrouve démuni et prend conscience qu’il vacille depuis toujours.

Dans ses faiblesses et ses désirs, Bernard va voir Laurence, une prostituée travestie. Derrière ce personnage, n’y-a-t-il pas la figure de Grisélidis Réal ?

Arthur Dreyfus : C’est surtout un ami écrivain, David Dumortier, qui m’a inspiré avec son livre magnifique, Travesti. Mais effectivement, il y a un peu de Grisélidis dans Laurence. C’était une prostituée militante, écologiste, anarchiste, qui recevait ses clients, leur parlait, refaisait le monde en essayant de leur apprendre des choses. Dans le roman, je voulais que cette prostituée soit travestie, parce qu’un travesti se situe à la frontière de deux mondes, de deux corps, entre celui de l’homme et celui de la femme. C’était un personnage idéal pour aborder le sujet de la sexualité des djihadistes, de ces hommes qui ne veulent plus voir les femmes.

D’ailleurs, le personnage du djihadiste, Seifeddine, n’a pas la même épaisseur que Bernard, bien que lui aussi perde l’être aimé. Comment l’avez-vous imaginé ?

Arthur Dreyfus : Je voulais écrire sur des victimes innocentes et Seifeddine est le rouage qui permet à la mort de faire son travail. Véronique et Bernard n’ont rien fait pour mériter le drame qui leur arrive. Pourtant, j’entends souvent qu’il y aurait une part de responsabilité de la France dans les attentats et dans le djihadisme. Cela m’est insupportable ! Faudrait-il que l’on soit forcément coupable du malheur qui nous arrive, comme si le mal n’existait pas ? Avons-nous besoin d’être punis ? Bien sûr que le déclenchement du terrorisme est multifactoriel et que la misère, la souffrance ou la violence n’engagent rien de bon. Mais le lien direct entre souffrance, pauvreté, et djihadisme n’est pas établi, pas plus que celui entre djihadisme et post-colonisation.

L’épigraphe de la deuxième partie de Sans Véronique est un vers de Jacques Prévert, «Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y» et dans Qu’est ce-que la gauche ?, vous déclarez : «ma gauche ne prête allégeance à aucune religion». Vous en voulez tellement à Dieu ?

Arthur Dreyfus : J’espère que Dieu de m’en voudra pas de ses piques contre lui ! Mais, en tant qu’homosexuel, je me méfie de la religion. Pendant deux millénaires, elle s’est opposée à mon droit d’exister, à mon identité. J’estime qu’être de gauche, c’est penser que «la religion est l’opium du peuple». Cette formule célèbre de Marx reste une vraie pensée de gauche. Je trouve beaucoup plus beau de croire en l’homme sans l’aide du Ciel.

Cela dit, le concept de foi est fascinant. On peut avoir foi dans quelque chose de grand, d’universel, d’océanique, qui nourrit et relie la totalité des éléments. Ce que je n’aime pas dans la religion, c’est la liturgie, les règles, les lois qui culpabilisent les hommes, qui transforment les actions de leur vie en crime perpétuel. En bon anarchiste moral, je me méfie des religions. Je m’en tiens à distance et je pense que c’est notre devoir d’écrivain de remettre en cause les certitudes généralisées – donc les religions.

Dans chaque ouvrage, vous recourez à un style et à une forme différente : des phrases courtes et des aphorismes dans Histoire de ma sexualité, un débat épistolaire dans Correspondance indiscrète, des phrases très longues dans Sans Véronique et même un abécédaire dans Qu’est-ce que la gauche ? Que recherchez-vous dans cette diversité de formes ?

Arthur Dreyfus : Georges Bataille disait que la sexualité appartient toujours au monde de l’enfance et qu’il y a en elle une dimension ludique. Je considère que l’écriture appartient au domaine du jeu. Quand j’écris, j’ai besoin de sentir que je me confronte à un jeu avec de nouvelles règles à chaque fois. Les formes que je choisis ont un sens très spécifique, qui est lié à chacun de mes projets. Victor Hugo disait que la forme, c’est le fond qui remonte à la surface.

Utiliser l’abécédaire dans Qu’est-ce que la gauche ?, ce n’est pas seulement pour répondre en vingt-six points. C’est montrer que je n’ai pas une seule réponse, que définir «la gauche» ne peut se faire qu’en plusieurs réponses fractionnaires. Dans Sans Véronique, les longues phrases représentent le torrent de pensées qui assomme Bernard, qui mêle les détails de la vie banale au drame de la mort exceptionnelle. Dans Histoire de ma sexualité, mes phrases courtes racontent la manière dont les fantasmes peuvent habiter sans cesse l’esprit, le traverser.

Dans votre contribution à Qu’est-ce que la gauche ?, vous vous demandez si vous seriez de droite si vous n’étiez pas homosexuel. Pensez-vous qu’être gay implique d’être de gauche ?

Arthur Dreyfus : Je me pose la question, je ne dis pas qu’il est sûr que je serais de droite si je n’étais pas gay. J’ai été élevé dans une famille plutôt de droite. Et, finalement, on est toujours de gauche (ou de droite) comme ses parents ou bien contre ses parents. D’un côté, je me sens un peu flottant, intrinsèquement centriste, afin de rester au cœur du dispositif et être lien avec tout le monde. L’écrivain est une éponge et, pour être une éponge, il faut comprendre les positions de tous. Cette faculté permet de construire des personnages dans le mystère de leur identité, de leur rapport au plaisir, à la jouissance, à l’orgasme, à la mélancolie, bien plus que dans leurs liens strictement politiques à la société.

Je ne suis pas homophobe ni d’extrême-droite, évidemment, mais je peux parler avec un homophobe d’extrême-droite, essayer de comprendre pourquoi il dit ce qu’il dit. Après, culturellement et socialement, je suis plus de gauche. Mon homosexualité, qui n’est pas conforme à la norme, qui me met dans la position d’une minorité, dans la position de quelqu’un qui pourrait être victime d’ostracisme, me pousse à m’interroger deux fois plus sur les questions d’identité et de rejet.

Comment expliquez-vous que les gays soient de plus en nombreux à rejoindre la droite et l’extrême-droite, comme l’écrit Didier Lestrade dans son essai Pourquoi les gays sont passés à droite ?

Arthur Dreyfus : À mon avis, c’est totalement contradictoire. Ce n’est que l’expression d’une forme d’égoïsme. Quand on est gay, on appartient à une minorité qui est rejetée par beaucoup de gens dans le monde, on fait partie de la différence. Vouloir adhérer à un parti qui prône le rejet de l’autre et la peur de ce qui est différent me semble totalement schizophrène. Ça me choque beaucoup, je trouve cela extrêmement triste.

Qu’allez-vous faire dans les prochains mois ?

Arthur Dreyfus : Je suis en train de finir un récit, pour une collection de Gallimard qui s’appelle «Le Sentiment géographique», sur un voyage que j’ai fait en Corée du Sud l’an dernier. J’écris aussi des poèmes que j’aimerais publier bientôt. Sinon, je prépare une exposition de photographies qui s’appellera, je pense, Garçons, Téléphone, Maison. C’est une série de photos de garçons qu’on pourrait qualifier d’érotiques. Elles seront exposées dans une galerie parisienne d’ici deux à trois mois.

 

À lire

Sans Véronique d’Arthur Dreyfus (éditions Gallimard)
Qu’est-ce que la gauche ?, de Cécile Amar et Marie-Laure Delorme (éditions Fayard)

 

Photo 1 © Felipe Barbosa
Photo 2 © Catherine Hélié / Gallimard

1 commentaire

  • Jérôme Martin

    La référence à Marx est entièrement tronquée et est un contresens. Marx indique dans ce passage que la religion est une expression de la misère réelle. Marx comme Engels rappellent que la religion n’est pas la cause de la misère, et critique le combat antireligieux. Il faudrait vraiment que les gens qui parlent publiquement sur ces questions bossent leur sujet et cessent de brasser des idées toutes faites. Lire à ce sujet “la haine de la religion” de Pierre Tevanian, qui déconstruit la référence à Onfray. Par ailleurs, qui vous dit que Marx avait la même vision morale sur les drogues que cette référence le suppose ?
    Par ailleurs, affirmer péremptoirement que le lien entre djihadisme terroriste et postcolonialisme n’est pas prouvé (qui a financé les talibans ? Qui a semé le chaos au Yemen ou en Syrie ?), sous-entendre que les personnes qui pointent la responsabilité des interventions françaises cautionneraient les attentats en France, ce sont aussi des contresens. Décidément, cet auteur ne bosse pas ses sujets.

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.