la Maison Blanche illuminée aux couleurs de l’arc-en-ciel credit White House Press Office

“Manifeste contre la normalisation gay” ou tentation nostalgique ?

Avec son Manifeste contre la normalisation gay, Alain Naze regarde malheureusement davantage dans le rétroviseur que devant lui.

alain naze manifeste contre la normalisation gay éditions la fabriqueOn a été plus d’un-e à traîner les pieds pour aller réclamer «pour tous» le mariage, institution loin d’être sympathique. On a même entendu dans les cortèges des ami-es hétéros réclamer le «mariage pour personne» – et c’était bien trouvé. Pour autant, on n’avait pas l’impression, en descendant dans la rue, d’œuvrer au triomphe des normes hétéro-centrées. C’est pourtant à cette «normalisation gay» que, selon le philosophe Alain Naze, contribue l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.

Autant le dire tout de suite : il y a quelque chose de très irritant dans son Manifeste contre la normalisation gay qui, brandissant comme des étendards fétichisés les citations de Pasolini et d’Hocquenghem, rejette comme forcément petites-bourgeoises et aliénées toutes les revendications postérieures à 1981. Alors qu’il prétend défendre une homosexualité toujours en devenir, le livre, qui ne trouve rien d’aussi beau que les «amours collectives, buissonnières et aérées des années 1960 et 1970» (et semble ignorer qu’elles perdurent), dégage une profonde impression de nostalgie. Son dernier mot est, significativement : «catastrophe».

On en vient même à se demander si, pour Naze, un bon gay bien subversif n’est pas finalement un gay discriminé : lors d’«intermèdes» ahurissants, l’auteur salue par exemple, dans les propos homophobes du patron de l’entreprise Barilla, «quelque chose de rafraîchissant», qui échappe au formatage du marketing et rappelle combien l’homosexualité heurte l’ordre bourgeois. Ailleurs il confesse «une certaine nostalgie envers une époque où l’Église ne prenait pas de précautions pour parler aux homosexuels» et les insultait ouvertement.

Ouvrir des perspectives

C’est peu dire que ces passages sont urticants. On aurait tort pourtant de jeter tout de suite aux orties ce livre, qui donne aussi matière à réflexion. Il démontre ainsi efficacement que le «Global gay» défendu avec enthousiasme par le journaliste Frédéric Martel (dans un livre du même titre récemment réédité en poche chez Champs Flammarion) est un conformisme qui prétend imposer au monde entier un modèle de réussite occidental et consumériste. Alain Naze souligne au contraire qu’il est plus efficace (et moins impérialiste) de prendre en compte les stratégies locales : par exemple, la tactique du coming out, bénéfique dans certains contextes (surtout dans les pays du Nord), n’est peut-être pas un modèle d’émancipation universalisable.

Un autre intérêt du livre est de considérer les droits acquis non comme des fins en soi, mais comme des préalables à l’invention de ce que Foucault appelait des «styles de vie homosexuels». C’est ce que tentent les gays et les lesbiennes qui, en pratique, inventent déjà de nouvelles formes de familles. Voilà, pour le coup, qui ouvre des perspectives et nous fait échapper à la nostalgie passéiste.

 

Manifeste contre la normalisation gay d’Alain Naze (éditions La Fabrique)

 

Photo : la Maison Blanche illuminée aux couleurs de l’arc-en-ciel le 26 juin 2015, après l’arrêt de la Cour suprême ouvrant le mariage pour tous sur tout le territoire des États-Unis © White House Press Office

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