Don Carlos verdi christophe honoré 1 credit Jean-Louis Fernandez

Avec “Don Carlos”, Christophe Honoré médite sur la solitude

La nouvelle production de Don Carlos, mise en scène par Christophe Honoré, était l’œuvre la plus attendue du festival annuel de l’Opéra de Lyon, dédié en 2018 à Giuseppe Verdi. En s’attachant avec une précision d’orfèvre aux ressorts psychologiques de tous les personnages, Christophe Honoré nous offre une production mélancolique, loin du faste que l’on peut trouver dans cet opéra.

Don Carlos est un opéra à part dans l’œuvre de Verdi. Inspiré de la pièce de Schiller, le livret de Joseph Mery et Camille du Locle est une intrigue complexe qui relate, dans le contexte politique et religieux du XVIème siècle, l’amour impossible entre Elizabeth de Valois et l’Infant d’Espagne Don Carlos. Commande de l’Opéra de Paris créée en 1867, l’œuvre subit des coupures dès les premières répétitions pour en réduire la longueur. Par la suite, Verdi opère de nombreuses modifications et deux nouvelles versions en italien voient le jour en 1884 et 1886. C’est pourquoi les débats sont aujourd’hui vifs pour savoir quelle est la version de référence, celle que Verdi pourrait revendiquer.

Don Carlos verdi christophe honoré 2 credit Jean-Louis Fernandez

Peu importe : le maestro italien nous en a laissé trois, qu’il est plus intéressant de juger pour leurs complémentarités que pour leurs oppositions. La version française, plutôt délaissée par les salles d’opéra, retrouve un certain attrait. Après l’Opéra de Paris à l’automne dernier, l’Opéra de Lyon nous propose ainsi une version issue de la partition des premières répétitions, c’est-à-dire une intégrale qui n’a même pas été jouée lors de la création de Don Carlos.

Une mise en scène qui joue sur les détails

Pour sa troisième collaboration avec l’opéra de Lyon, après Dialogues des Carmélites et Pelléas et Mélisande, Christophe Honoré signe une mise en scène sobre, sombre, sensible, mais redoutablement efficace. Par petites touches insignifiantes, il installe une tension croissante, presque subliminale.

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Au premier acte, dans la forêt de Fontainebleau, la scène expose deux niveaux : l’un où le peuple se déploie et l’autre, légèrement surélevé, où évolue la noblesse. C’est sur celui-ci qu’Elizabeth et Carlos se rencontrent et s’aiment dans un duo très sensuel, pour apprendre au final qu’Elizabeth n’épousera pas Don Carlos comme initialement prévu, mais son père, le roi Philippe II. Dans le tutti qui clôture l’acte, Don Carlos se retrouve à terre avec le peuple, comme pour symboliser sa rupture avec son milieu. Ce n’est presque rien, et pourtant tout est dit, sans qu’on s’en rende compte.

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Il en va de même dans chaque scène, chaque tableau, où de simples petits détails construisent les rouages d’une mécanique inexorable, celle qui va séparer les protagonistes les uns des autres et les enfermer dans leur solitude.

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Le Grand Inquisiteur n’est pas seulement aveuglé par sa foi : en faire un non-voyant le coupe définitivement de son environnement. De même, installer la princesse Eboli dans un fauteuil roulant n’est pas anecdotique. Lorsqu’elle est rejetée pour avoir rapporté au Roi l’amour entre Elizabeth et Carlos et qu’il n’y a plus personne pour la pousser, son « Tout est fini, je suis du ciel abandonnée » prend une couleur tragique. Rodrigue seul, trouve peut-être un peu de réconfort dans son agonie, rendant la scène de son sacrifice pour sauver Carlos comme l’un des moments les plus émouvants du spectacle. Abattu par un prêtre du Grand Inquisiteur, il tombe à quelques mètres de Carlos enchaîné qui ne peut l’atteindre. Voulant mourir en tenant la main de Carlos, [s]on compagnon, [s]on ami, [s]on frère, il rampe dans un ultime effort pour rejoindre celui avec qui il a partagé le serment de mourir en [s]’aimant.

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Les décors sobres sont évocateurs (geôle, tableaux du Christ…) mais n’inscrivent pas l’action dans un temps et un espace. Sans être historiques ou avant-gardistes, ils confèrent à cet opéra une dimension universelle. Ils montrent juste le cloisonnement des femmes et des hommes dans leurs conditions sociales malgré leurs désirs, quelle que soit l’époque. Ainsi lors de la fête du troisième acte, de grands rideaux évoluent comme les panneaux d’un labyrinthe où chacun se cherche sans se trouver. Mais c’est dans le ballet que tout s’éclaire. La cour danse en groupe mais individuellement, sur une sorte de madison. Cette danse bien structurée est perturbée par l’intervention de quatre individus (trois hommes, une femme) qui finissent leur danse en s’embrassant aux yeux de tous. Libres, aimants, ils seront les victimes de l’autodafé pour avoir osé exprimer leurs désirs.

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Cette production fouille la psychologie humaine et nous en démontre la complexité. Il n y a pas de méchants, pas de gentils. Il y a juste des corps, des frustrations et des désirs. Christophe Honoré porte sur tous, un œil rempli de compassion qu’il exprime par une remarquable direction d’acteur que transmet avec passion l’ensemble du plateau.

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Dans la fosse, Daniele Rustioni, chef permanent de l’Opéra de Lyon, aime Verdi et cela se sent. Il dirige avec passion et enthousiasme l’orchestre, ce qui parfois génère quelques déséquilibres entre la fosse et le plateau, surtout lorsque le pupitre des cuivres est sollicité.

Stéphane Degout, un Rodrigue exceptionnel

Au niveau des solistes, le coup de cœur féminin va à Eve-Maud Hubeaux, la princesse Eboli, qui était ici-même, l’an dernier, une extraordinaire Brangaine dans Tristan et Isolde. Dans la chanson du voile, elle développe son chant avec toutes les nuances nécessaires. Dans les scènes plus dramatiques, la maîtrise de sa voix lui permet de lâcher prise et de donner à son jeu des accents de vraie tragédienne. Sans chauvinisme, il faut reconnaître que le Lyonnais Stéphane Degout est un Rodrigue exceptionnel, aussi bien vocalement que scéniquement. Sa diction et son jeu sont une pure satisfaction. Le mépris qu’il déploie envers la princesse Eboli, ou l’amour qu’il éprouve envers Carlos, sont clairs mais sans exagération et c’est sous de chauds applaudissements que le public a accueilli le retour de l’enfant du pays sur la scène lyonnaise.

Roberto Scandiuzzi que l’on avait pu entendre deux ans plus tôt dans La Juive est une basse profonde et imposante qui colle avec perfection au rôle de Grand Inquisiteur. Le Philippe II de Michele Pertusi est une autre basse plus retenue, ténébreuse et torturée qui interprète le cantabile de l’acte IV avec émotion.

Seul le couple formé par Elizabeth et Don Carlos suscite chez nous quelques réserves. La diction de Sally Matthews, étant loin d’être parfaite, entrave par moment la fluidité de son chant. Le Don Carlos de Sergey Romanovsky était un peu hésitant au premier acte, mais il gagne en assurance dans la suite de l’opéra, offrant de belles nuances avec un timbre chaleureux. Au final, la fatigue sans doute, lui fait perdre un peu volume. À sa décharge, le rôle dans cette version intégrale (4h30 de musique) est éprouvant et l’on conçoit parfaitement une légère baisse de régime en fin de représentation.

Ce Don Carlos qui n’avait pas été joué depuis 1997 à l’Opéra de Lyon est une belle réussite et confirme Christophe Honoré comme un talentueux metteur en scène d’opéra.

 

Don Carlos, jusqu’au 6 avril à l’Opéra de Lyon, 1 place de la Comédie-Lyon 1 / 04.69.85.54.54 / www.opera-lyon.com

 

Photos © Jean-Louis Fernandez

1 commentaire

  • LAULAGNET Aude

    Ce Don Carlos, malgré les quelques bémols cités dans la critique de Yannick Mur que je partage, donne à entendre et à voir 5 heures de pur bonheur dans cette mise en scène magnifique, où les rois restent des rois, (contrairement à l’épouvantable Macbeth donné en alternance) permettant au spectateur d’éprouver une empathie profonde pour tous les sujets pris dans cet étau tragique.
    Je ne peux m’empêcher d’éprouver une grande fierté à l’endroit de Stéphane Degout, absolument éblouissant en Marquis de Posa, vu que je suis comme lui, lyonnaise !
    (La mise en scène “actualisée” de ce même Don Carlos donné à Paris ne m’avait pas du tout convaincue).

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