Incarnation, des acteurs qui donnent corps

Voici deux films actuellement en salles qui méritent votre attention : le sublime Girl de Lukas Dhont et Avant l’aurore de Nathan Nicholovitch où il est question d’incarnation et de fusion entre le corps de l’acteur et celui du personnage.

Des acteurs/trices, on dit qu’ils incarnent. Littéralement, qu’ils donnent corps. À un rôle, à un personnage. C’est dire l’importance du corps, de leur corps, de ce que parfois ils lui font subir pour un film — on sait ces performances de stars Actors studio pour prendre ou perdre des kilos par dizaines, des muscles… —, pour entrer physiquement dans un rôle, faire corps avec lui, et l’expression là-encore dit précisément ce qui est en jeu. Plutôt que ces corps plastiques, élastiques, Nathan Nicholovitch est allé chercher un corps fou, surpuissant pour interpréter Mirinda, le travesti prostitué qui est au centre de son long-métrage Avant l’aurore : celui de David d’Ingeo, comédien halluciné et génial qui impose de manière incroyable la singularité de son corps — noueux à la Iggy Pop, gracieux comme celui d’une diva — et de son visage cabossé à la Klaus Kinski.

Ce qui est si troublant et si fascinant ici, avec ce corps étrange et magnifique qui danse, qui se (dé)bat, qui suce, qui s’expose, qui hurle…, c’est que David d’Ingeo n’est pas devenu Mirinda ; c’est que Mirinda, c’est David d’Ingeo. Inversion du processus. Fusion. Confusion. C’est extraordinaire, inouï. C’est tellement fort qu’on a parfois l’impression qu’Avant l’aurore est d’abord un documentaire sur ce corps, tout comme Girl, le premier long-métrage de Lukas Dhont sur une jeune trans, est un film sur le corps de son étourdissant comédien, Victor Polster, ce qui ne manque pas de faire débat. On en oublierait presque que le beau film de Nathan Nicholovitch est loin de se résumer à cela, que le cinéaste y capte, avec un réalisme jamais pesant, la vie de ces bas-fonds de Phnom Penh où Mirinda vit et travaille, qu’il fait ressentir avec une sacrée finesse l’atmosphère hantée de cette ville où les souvenirs de l’horreur Khmer rouge ne sont jamais loin, qu’il réussit surtout à faire naître et s’épanouir devant sa caméra la belle relation entre Mirinda et une gamine têtue et blessée qu’il va s’obstiner à sauver. Et pourtant, au sortir d’Avant l’aurore, c’est bien le corps de Mirinda/David d’Ingeo que l’on garde en tête, ce corps intense, à vif, où le masculin et le féminin ne sont plus des questions. 

 

Avant l'aurore - incarnation Avant l’aurore, de Nathan Nicholovitch, avec David d’Ingeo. Sorti le 18 septembre. 

 

 

 

 

 

lukas-dhont-girl - incarnationGirl, de Lukas Dhont, avec Victor Polster. Sortie le 10 octobre.  

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