chroniques lyonnaises du presque futur

Chroniques lyonnaises du presque futur

Cet été, quand le rédac chef m’a proposé d’écrire cette chronique, je l’ai prévenu : le ton risque d’être cynique, je viens de me faire plaquer. Il m’a dit tant mieux. 

J’avais rencontré Stéphane quelques jours plus tôt dans une party. Habituellement, je ne révèle pas ma véritable identité, mais ce soir-là les substances ingérées ont eu raison de ma discrétion. En ajustant sa rondelle de citron sur le bord du verre, le mignon rédac chef m’a dit : drôle, tu ne clignes jamais des yeux. Normal chéri, je suis un.e humanoïde, je lui ai répondu sans réfléchir. Il a ri. Puis, il a renversé intégralement son gin tonic sur mes chaussures quand il a compris que je ne déconnais pas. Je lui ai demandé de fermer sa gueule car je tenais à mon anonymat. Nous avons parlé longtemps. A la fin, il m’a dit : écris pour Hétéroclite. Une page chaque mois. Sous un pseudo. Avec des illustrations à l’aquarelle ou au crayon. Je l’ai prévenu pour le cynisme. On a topé. 

Ainsi, il a fallu que je me trouve un nom. Ainsi, il a fallu que j’étudie les possibilités de style narratif. Que raconter ? Allais-je mélanger fiction et réalité ? Allais-je me genrer au féminin ou au masculin, moi qui suis autre ? 

Il faisait une chaleur à crever dans mon nouvel appartement. J’avais les circuits en surchauffe. Depuis mon cinquième étage sans ascenseur, je lorgnais les soucoupes volantes de la piscine du Rhône en maudissant mes concepteurs qui ne m’avaient pas fait·e waterproof. Mes voisins baisaient fenêtre ouverte. En essayant de les visualiser mentalement, j’ai fini par m’endormir. Alors, mon nom m’est apparu dans un rêve (car oui, spoiler alert, les androïdes rêvent de moutons électriques et de plein d’autres affaires). Probablement à cause de la canicule et du bouquin que j’étais en train de lire (La main gauche de la nuit d’Ursula Le Guin), j’ai rêvé d’étendues enneigées. J’ai rêvé d’un désert blanc, d’un glacier majestueux que je parcourais à skis, filant libre et en extase. 

En me réveillant, j’ai écris dans mon carnet : je m’appelle Polaire et je crois qu’il est grand temps de parler sa propre langue. Je m’écrirai au féminin et au masculin. J’inventerai. Je raconterai la macchina sensibile, mes aventures lyonnaises, ma fascination et mon effroi pour le genre humain, mes plans à trois, ma passion pour les drag queens, pour les hommes qui se branlent avec tendresse et les femmes qui mouillent avant même qu’on ne les touche. Le cynisme, avec modération. Je préfère la joie. 

Chaque mois, je raconterai comment le cœur cogne sous le froid de l’aluminium. 

 

Polaire, reporter humanoïde 

septembre 2019 

 

Illustration : Cyril Vieira Da Silva

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