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Sophie Berthier : “Nous ne devrions pas avoir à choisir entre exister et enfanter”

Alors que les débats à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi sur la bioéthique ont exclu les personnes trans de l’ouverture de la PMA, Sophie Berthier, co-fondatrice de l’association Chrysalide, revient sur les obstacles à la procréation rencontrées par les personnes trans.  

Vous êtes co-fondatrice de l’association trans Chrysalide, créée à Lyon en 2007. Pouvez-vous nous préciser rapidement l’objet de l’association ?
Sophie Berthier : Chrysalide est une association militante transféministe d’autosupport, de création de ressources sur les transidentités et de lutte contre la transphobie. Nous éditons par exemple plusieurs guides informatifs à destination de publics variés, faisons des interventions en milieu scolaire, effectuons des formations de professionnel·lles socio-médicaux, publions des applications mobiles, organisons des événements publics comme pour le TDoR, et bien entendu, nous tenons des permanences d’accueil au Centre LGBTI de Lyon.

La “PMA pour toutes” a récemment été adoptée pour les femmes seules et les couples de femmes. Cependant, les femmes et hommes trans, bien que mentionné·es dans les débats, ont été exclu·es de l’accès à la PMA. Qu’est-ce-qui explique, selon vous, cette exclusion ?
Pour comprendre cette situation, il faut se rappeler que cela ne fait même pas trois ans qu’il est possible pour une personne trans de faire changer son état-civil en France sans avoir été stérilisé·e chirurgicalement. Il faut également garder à l’esprit que nous sommes encore considéré·es comme des malades mentaux par la CIM10, encore en vigueur en France. Enfin, il faut savoir que pour pouvoir accéder aux hormones, de nombreux médecins imposent des parcours de soins que nous dénonçons très clairement, dans lesquels il est par exemple imposé à des personnes trans de se faire suivre par un·e psychiatre pendant plusieurs années, qui décidera si la personne aura le droit ou non de vivre sa vie, selon des critères que nous jugeons sexistes, homophobes et, de façon générale, arbitraires. Il y a encore quelques années, le fait d’avoir des enfants mineurs écartait la possibilité d’accéder à des hormones aux yeux du corps médical. Enfin, les comités d’éthique des CECOS ont régulièrement statué qu’il était inapproprié de permettre à une personne trans de procréer et ont donc rejeté la plupart des demandes de conservation des gamètes. Nous voyons donc que, depuis longtemps, les personnes trans sont considérées comme inaptes à décider pour elles-mêmes de leur propre vie, et également inaptes à avoir des enfants.

Il est donc naïf de penser que la fin de l’exigence de stérilisation marquait une ouverture sur la question du droit des personnes trans à procréer ?
Si la France a modifié sa législation en 2016 concernant l’exigence de stérilisation, ce n’est nullement pour des raisons progressistes, mais tout simplement parce que plusieurs plaintes contre l’état français étaient alors en cours auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. La Turquie ayant été condamnée pour ce motif un an plus tôt, la France savait que sa position n’était plus tenable. Pour autant, les brefs échanges à l’Assemblée nationale sur l’accès à la PMA pour les personnes trans ont permis de montrer de façon éclatante à quel point les mentalités de nos élu·es sont restées ancrées dans une logique d’infantilisation et de mépris le plus total à l’égard des personnes trans. Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point les quelques arguments avancés étaient strictement les mêmes que les chantres de la stérilisation utilisaient il y a peu : d’une part il serait trop compliqué pour le droit français de gérer une filiation d’une personne ayant changé son état-civil, d’autre part il serait douteux qu’il soit souhaitable que des enfants grandissent auprès de personnes trans. Dans les deux cas, il s’agit non pas d’arguments véritables mais d’une simple posture réactionnaire face à une réalité sociétale que nos responsables politiques refusent de prendre en considération.

Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône et rapporteur du projet de loi sur la bioéthique, a fortement porté les amendements qui auraient permis aux personnes trans d’accéder à la PMA. L’aviez-vous rencontré ?
Pas dans ce cadre-là. Nous l’avions rencontré en 2009 afin de lui exposer la situation des personnes trans en France de façon globale. Il nous avait alors conseillé de conserver des traces des pratiques indignes dont nous étions victimes car selon lui personne ne nous croirait dans quelques années. C’était hélas prophétique, car aujourd’hui peu de personnes imaginent les abus dont ont pu être victimes les personnes trans par le corps médical, y compris par des médecins qui s’affichent encore aujourd’hui comme spécialistes des personnes trans. Heureusement, nous constatons que les mentalités des médecins évoluent, et nous constituons au sein de Chrysalide un réseau de médecins progressistes, comme le font d’ailleurs d’autres associations trans en France. Nous venons dans cette logique de rééditer un guide destiné spécifiquement au personnel médico-social afin de l’aider dans les bonnes pratiques d’accompagnement des personnes trans.

Chrysalide a également publié un livret sur la parentalité trans où il est question de la PMA. Peux-tu nous en dire deux mots ?
Nous avons publié en 2015 un livret destiné aux enfants de plus de 3 ans issu·es de PMA dont le père est trans. Les familles transparentales sont une réalité de longue date, mais il n’existait alors pas la moindre ressource sur le sujet en français, tout particulièrement destinée aux tout petits. Plutôt que de se questionner indéfiniment sur le fait de savoir si la société est prête ou non à accepter la simple existence de certain·es de ses citoyen·nes, le rôle des politiques devrait plutôt être d’accompagner ce type d’initiative permettant une meilleure fluidité dans l’acceptation des diversités des situations familiales.

Quel est l’enjeu de l’accès à la PMA pour les personnes trans ?
L’enjeu de l’accès à la PMA pour les personnes trans est ni plus ni moins que le droit à la procréation tout court. Les traitements hormonaux que nous prenons ont généralement un effet stérilisant. Nous ne devrions pas avoir à choisir entre exister et enfanter. Il est tout simplement honteux de constater que la France persiste par exemple à refuser à une femme trans d’utiliser ses propres gamètes pour un futur projet parental dans son couple.

Pour vous, quelles sont les conséquences de l’exclusion des personnes trans de l’accès à la PMA ?
Les personnes trans vont devoir continuer à aller dans des pays moins arriérés sur ces questions, tels que l’Espagne, la Suisse ou la Belgique, ce qui restreint la parentalité à des personnes disposant de ressources suffisantes. Pour les personnes trans précaires, il s’agit d’un projet inaccessible. Par ailleurs, cette interdiction imprime dans l’imaginaire collectif de notre société que les personnes trans ne doivent pas enfanter et sont potentiellement dangereuses pour les enfants. Ce message est non seulement envoyé aux personnes cis, mais également aux personnes trans elles-mêmes qui pour beaucoup s’auto-persuadent qu’elles ne sont pas aptes à devenir parents. C’est dramatique.

Est-ce-qu’il y a d’autres réflexions que tu aimerais partager à ce sujet ?
Ce qui interpelle dans ce débat, c’est encore une fois la violence avec laquelle une certaine partie de la population est traitée, méprisée. C’est également le cas pour les personnes intersexes, dont les amendements qui auraient permis d’interdire enfin les interventions chirurgicales non désirées sur les bébés intersexes ont été rejetés. Comment se réjouir d’une révision des lois sur la bioéthique qui entérine des pratiques ignobles pour certain·es citoyen·nes ?

Association Chrysalide 
Centre LGBTI de Lyon 
19 rue des Capucins-Lyon 1
www.chrysalide-asso.fr
Mail : chrysalidelyon@yahoo.fr
Facebook : www.fb.com/chrysalidelyon


chrysalide sophie berthier accueil medical personnes transUn livret à destination du personnel médico-social
Vous êtes professionnel.le de santé ? Vous souhaitez accueillir et accompagner des personnes trans dans leurs démarches de soin ? L’association Chrysalide a mis à jour et réédité pour vous sa brochure L’accueil médical des personnes transidentitaires, guide pratique à l’usage des professionnel·les de santé pour accueillir au mieux les personnes trans dans la diversité de leurs situations : quels termes employer ? Comment permettre à la personne d’être à l’aise ? Quels sont les différents parcours de transition existants ? Cette synthèse claire, illustrée et bien documentée est une ressource précieuse pour mieux comprendre la situation médicale des personnes trans, éviter un renoncement aux soins et effectuer un accueil adapté. La brochure est disponible en pdf en libre accès sur le site internet de Chrysalide et en version imprimée sur commande. Pour les professionnel·les désireux·ses d’aller plus loin, des sessions de formation sont également proposées par l’association.

 

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