La Marche des fiertés de Lyon CFL liste pride

Avec sa liste d’agresseurs présumés, le CFL fait polémique

Pour se prémunir des violences sexuelles, sexistes, racistes ou encore transphobes, les membres du Collectif Fiertés en Lutte ont créé une liste d’agresseurs présumés qui mêle des motifs très variés… et déclenche une levée de boucliers dans la communauté LGBTI et queer lyonnaise.

Comment éviter que les agressions sexuelles, les propos racistes, les mégenrages transphobes et autres “blagues” sexistes se perpétuent jusqu’au sein des organisations censées lutter contre les LGBTIphobies ? La question agite à nouveau le petit milieu LGBTI et queer lyonnais. Deux ans après que le collectif queer Les Méduses se soit déchiré sur ce sujet, c’est au tour du Collectif Fiertés en Lutte (CFL), la jeune structure qui a pris la place, fin 2019, de la Lesbian and Gay Pride (LGP) dans l’organisation de la Marche des Fiertés lyonnaise, de se retrouver dans la tourmente. En cause ? La création par ses membres d’une liste d’agresseurs présumés. L’initiative avait été annoncée en juin sur Discord, un outil de discussion en ligne sur lequel le CFL a, dès sa fondation, créé un groupe privé auquel plusieurs dizaines de membres de la communauté LGBTI et queer lyonnaise ont accès, sans forcément être très impliqué·es dans le collectif. Le but affiché de cette liste était d’éviter que des personnes connues pour des faits d’agressions sexuelles, ou qui aurait eu des propos ou des comportements “problématiques” (sexistes, racistes, transphobes…) puissent continuer à sévir en passant d’une organisation à l’autre au fur et à mesure de la découverte de leurs agissements. Une association LGBTI lyonnaise avait auparavant contacté le CFL pour le mettre en garde contre un homme qui cherchait à réintégrer le milieu militant après en avoir été exclu pour de telles agressions. En juin, un salon de discussion privé est donc créé pour héberger cette liste, qui devait rester confidentielle. Une dizaine de personnes, qui s’appellent elles-mêmes “Les Veilleurs/euses” (dont la référence involontaire aux manifestations anti-genre apparait pour le moins maladroite) y ont accès.

C’est l’un des sept hommes qui figure sur cette liste, S., militant de AIDES et ancien membre du CFL, qui a pris l’initiative de dévoiler son existence, lundi 6 juillet sur Facebook. Le document lui avait été transmis la veille par un membre anonyme du CFL opposé à sa création. En 2018, S. était membre des Méduses quand le collectif a été ébranlé par une affaire d’attouchement sexuel non-consenti commis par l’un de ses membres, blanc, sur un autre membre, racisé, qui avait clairement exprimé son refus. Après que l’agresseur (mineur à l’époque) a reconnu les faits, le petit groupe, qui rassemblait des personnes queers de sensibilité anarchiste ou libertaire, avait implosé faute de parvenir à un consensus sur les suites à donner à cet événement grave (voir les communiqués des uns et des autres ici et ici). Depuis, les deux camps s’accusent mutuellement de harcèlement moral, de menaces, d’intimidations et de propagation de rumeurs malveillantes.

C’est cette histoire vieille de deux ans qui vaut aujourd’hui à S. de figurer en tête de la “liste noire des connards” (c’est le nom que lui ont donné ses créatrices et créateurs) établie par le CFL. En face de son prénom sont notés le nom de son organisation (AIDES, donc) et le motif de son inscription sur ce document : « protection d’agresseur dans l’ancienne orga des Méduses. Réthorique (sic) violente en réunion ». Viennent ensuite six autres prénoms d’hommes, membres du milieu queer, d’une association d’aide aux migrants LGBTI, d’un syndicat étudiant ou d’organisations anarchistes ou antifascistes. Et les accusations sont beaucoup plus graves : « harcèlement sexue »”, « violences sexuelles sur meufs », « abus sexuel sur personne vulnérable en situation de précarité », « agression sexuelle d’une personne trans lors d’une soirée », « viol d’une meuf (anciennement sa copine) qu’il a conscientisé [dont l’agresseur a pris conscience et qu’il a reconnu] ensuite ». Enfin, un dernier accusé figure dans la liste pour « mégenrage » [appellation d’une personne, généralement trans, par un pronom d’un genre dans lequel elle ne se reconnaît pas] et parce qu’il aurait déclaré au cours d’une réunion au bar queer villeurbannais Le Rita Plage : « je suis un mec cis, blanc et raciste et fier de l’être ».

S. a donc décidé de révéler l’existence de cette liste, pour que le milieu LGBTI et queer lyonnais en soit informé. À ses yeux, le mélange d’accusations d’ordre et de gravité très différents « entretient délibérément un flou» sur la nature des faits qui lui sont reprochés. Mais ce document soulève aussi pour lui d’autres questions : « qui décide de qui est sur cette liste ? Sur la base de quelles informations ? Qui les vérifie ? Et comment croire qu’avec une dizaine de personnes qui y ont accès, chacune appartenant à des organisations différentes, ce fichier aurait pu rester confidentiel ?». Il réclame des excuses publiques ainsi que la démission des “Veilleurs/euses” du CFL. Il a également annoncé avoir déposé une main courante et écrit un courrier au procureur de la République et à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Ce document pourrait en effet relever de la « diffamation non-publique », punie, selon l’article R621-1 du Code pénal, « de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe », soit 38 euros. Mais, pour les avocat·es que nous avons interrogé·es, « juridiquement, il n’y a pas grand-chose. Ce n’est pas un fichier détaillé et les éléments présentés ne sont pas circonstanciés ».

 

Une méthode moralement contestée

Si, d’un point de vue légal, le CFL ne risque donc pas forcément une forte sanction, sa crédibilité au sein du milieu LGBTI lyonnais semble plus gravement menacée. Depuis la révélation de l’existence de cette liste, l’information a très largement circulé sur les réseaux sociaux et les réactions ont été pour la plupart très négatives. Sur sa page Facebook, le CFL se voit accuser de pratiquer « un fichage politique » digne de régimes policiers, voire totalitaires. Pour beaucoup, la grande disparité des faits reprochés aux « connards » donne à cette liste un fort parfum de règlement de compte personnel sous couvert de lutte contre les agressions sexuelles. D’autres pointent également du doigt le manque de protection de cette liste qui a “fuité” moins d’un mois après sa création, les mésusages que pourraient en faire des adversaires politiques des personnes LGBTI ou le risque de porter des accusations non-fondées ou invérifiables.

Après l’annulation d’une première réunion prévue le 9 juillet, le CFL a finalement publié cinq jour plus tard sur Facebook un communiqué dans lequel il justifie la décision de créer cette liste, tout en annonçant sa suppression. « Nous ne comprenons pas en quoi essayer de nous protéger contre des personnes aux comportements violents, sexistes, racistes, transphobes et LGBTQIA+phobes en général, est un problème, écrivent ses membres. Dans une société, des institutions, et des milieux où la parole des victimes est encore systématiquement silenciée, nous nous défendons avec les outils à notre disposition, nous nous protégeons collectivement et comme nous le pouvons. Il ne devrait plus être nécessaire de rappeler que la culture du viol et le racisme sont une réalité, et qu’être militant·e et/ou une personne LGBTQIA+ n’empêche pas de reproduire des oppressions systémiques. » Le CFL a également contre-attaqué en accusant ses détractrices et détracteurs d’inaction et de passivité face au problème des agressions sexuelles en milieu militant. Contacté·es, ses membres nous expliquent espérer « faire naître / contribuer à alimenter une réflexion à ce sujet ». Ils et elles reconnaissent que l’initiative, « évoquée plusieurs fois en réunions quelques mois auparavant », n’a pas fait consensus au sein de leur organisation et a provoqué « de nombreuses discussions », mais affirment que, lorsque la liste a été créée début juin, « la majorité des membres du collectif l’approuvaient ». Ils et elles expliquent enfin s’être basé·es, pour rédiger cette liste, « sur des témoignages directs et indirects de victimes (qu’elles soient dans l’association ou non), qui se croisent souvent et se rejoignent, puisqu’on remarque que les agressions sont souvent causées par les mêmes personnes. À partir de là, nous ne pouvons douter d’un comportement dangereux. Ce qui est central pour nous, en accord avec nos valeurs féministes, c’est de mettre la parole des victimes au premier plan et de ne jamais remettre en question ces témoignages, car nous savons à quel point le silence est difficile à briser ».

 

Des conditions difficiles pour préparer la Pride

Jeudi 16 juillet, des membres du bureau du Centre LGBTI de Lyon ont rencontré des militant·es du CFL pour leur faire part de leurs inquiétudes. « Nous leur avons dit que ce n’était pas nos méthodes, que nous étions respectueux de la loi et du Règlement général sur la protection des données (RGPD), précise Benoit Baudelin, nouveau président du Centre qui a pris ses fonctions fin juin. Mais aucune décision n’a encore été prise. Le Conseil d’administration du Centre décidera des suites à donner lors de sa prochaine réunion, à la rentrée ». Selon une source extérieure au Centre, plusieurs associations, membres du Conseil d’administration de l’ancienne LGP en tant que personnes morales et qui avaient gardé leur place au sein du CFL, songeraient à quitter celui-ci. Les militant·es de ce dernier reconnaissent d’ailleurs que, lors des « échanges sur le sujet des agressions et de leur gestion » auxquels ces associations ont participé, « beaucoup de doutes quant à la forme » avaient été exprimés. « Mais une chose est sûre : chacun·e était intimement convaincu·e du fond du projet, soit l’importance d’établir des lignes de conduite vis-à-vis des agressions et soutiens d’agressions, affirment les membres du CFL. Cette “affaire” de liste insiste plus sur la forme que sur le fond du problème ».

Reste que, depuis qu’une nouvelle équipe a pris la suite de feu la LGP, fin 2019, elle peine à imposer sa légitimité au milieu associatif LGBTI lyonnais. « Trop jeunes », « trop inexpérimentés », « trop radicaux »… Certain·es ont, dès le premier jour, exprimé leurs doutes quant aux capacités du CFL d’organiser la deuxième Pride de France, qui réunissait 20 000 manifestants lors de sa dernière édition, en 2018. Des doutes qui ont parfois pris la forme d’une franche opposition. La volonté affichée du CFL de briser la position dominante des hommes cisgenres blancs dans les associations LGBT, de dénoncer “l’hétéro-patriarcat”, le capitalisme, le pinkwashing des élu·es ou des multinationales, le racisme systémique, l’institution policière… se heurte à de très fortes résistances et à ce qu’il faut bien appeler un certain conservatisme. Quand, début 2020, des indiscrétions ont révélé que les membres du CFL envisageaient en interne d’exclure les hommes cis blancs du processus décisionnel d’organisation de la Pride, beaucoup s’en sont alarmé. Et même si cette idée a depuis été abandonnée, elle a laissé des traces dans les mémoires. Pour tous ceux et toutes celles qui rêvent de voir le CFL échouer, cette “affaire de la liste” est donc du pain béni et cela explique en partie la virulence des réactions à l’annonce de cette liste. Mais, et c’est plus inquiétant pour le CFL, on a vu aussi d’ancien·nes membres, certain·es très engagé·es dans les débuts du collectif, prendre publiquement leurs distances et se désolidariser de cette initiative, preuve de la profondeur du malaise en interne.

En conclusion de son communiqué du 14 juillet, le CFL affirme vouloir avancer et se concentrer sur l’organisation de la prochaine Pride. Alors que celle-ci se déroule traditionnellement en juin, elle a dû être reportée en raison de la crise sanitaire et pourrait avoir lieu cet automne. Mais pour mener à bien ce projet, le CFL, qui apparaît aujourd’hui très isolé et n’a pas encore annoncé officiellement de date exacte, devra impérativement renouer des liens avec les autres associations LGBTI, se trouver des alliés et panser les plaies d’une communauté lyonnaise toujours à vif, un an après le placardage du Centre LGBTI, l’annulation de la Marche des Fiertés 2019 et les très fortes polémiques qui avaient suivi.

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