André Gide Marcel Proust

Gide et Proust, les amis contraires

Comme tout le monde, vous avez sans doute relu À la recherche du temps perdu à la faveur du confinement, et sans doute, Les Faux-Monnayeurs : vous voilà donc prêt·e à vous plonger dans ce bref essai compatible avec vos activités estivales déconfinées, mais qui vous en apprendra beaucoup sur ce que c’est qu’être écrivain et homosexuel dans la France du début du XXe siècle.

Des relations entre Gide et Proust, on a longtemps dit qu’elles étaient distantes, suite au refus par Gide, en 1912, du manuscrit de ce qui serait bientôt Du Côté de chez Swann. Pierre Masson montre que, s’ils se sont finalement peu fréquentés, une estime réciproque, et même une certaine affection existait entre les deux écrivains. L’amitié n’empêche pas les différends, et au jeu des grandes déclarations d’affection et des vacheries entre parenthèses, c’est Marcel qui gagne : « Si vous regrettez de m’avoir peiné (et vous l’avez fait encore d’une autre manière que je vous dirai plutôt de vive voix si jamais ma santé me permettait de le faire), je vous supplie de ne garder aucun regret. » Ce qui rapproche ces deux-là est aussi ce qui les sépare : s’ils sont écrivains et homosexuels, ils ont des façons de l’être différentes voire opposées. Gide entend se dévoiler en première personne, mais progressivement : ce n’est qu’en 1924 qu’il diffuse le volume de ses mémoires, Si le grain ne meurt, et Corydon, essai qui défend l’homosexualité. Sa stratégie consiste à justifier l’homosexualité, y compris sur un plan moral, en distinguant toutefois une « bonne » homosexualité, de celle, condamnable, incarnée par la figure de « l’inverti ». Alors, quand en 1921, Proust publie Sodome et Gomorrhe, où le viril Charlus s’avère être la plus folle des « invertis », Gide y voit « une peinture plus stigmatisante que toutes les invectives », et un triomphe paradoxal des bonnes mœurs. Proust quant à lui estime que, pour peu qu’on évite l’aveu en première personne, tout peut être dit ou à peu près. À travers cette histoire d’amitié en demi-teinte, ce sont donc deux manières de jouer avec le placard et d’en sortir qui se manifestent. 

André Gide & Marcel Proust – À la recherche de l’amitié de Pierre Masson (Presses universitaires de Lyon). En librairies.

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