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Fin de siècle de Lucio Castro : les temps de l’amour

Ocho arrive à Barcelone pour quelques jours. Ce bel argentin brun arpente la ville, drague sans succès sur Grindr, repère un joli blond sur une plage. Il le revoit bientôt dans la rue avec son t-shirt Kiss… Bien sûr, ça ne va pas s’arrêter là, et le premier film très intrigant et séduisant de Lucio Castro, Fin de siècle, s’insinue dans cette histoire qui naît : histoire d’une nuit, ou histoire bien plus complexe que cela… Rencontre avec le cinéaste argentin.

Lucio Castro Fin de siecle

L’une des choses que j’ai vraiment aimées dans Fin de siècle,  c’est l’idée qu’à vingt ans de distance, sans se reconnaître, Ocho et Javi se désirent à nouveau. Je trouve que c’est une idée très forte, cette répétition du désir malgré le passage du temps. Est-ce ce que vous ressentez ?

Lucio Castro : Je pense que je m’intéresse à des choses que je reconnais, même si ce n’est pas consciemment, des choses qui me semblent familières à certains égards et qui m’appellent. Cela doit être lié à la notion de « l’Étrange » de Freud, quelque chose qui nous est familier et qui nous attire, mais qui nous donne aussi un léger sentiment de peur. Je crois vraiment que l’amour et l’attraction sont liés à la reconnaissance, et ce mystère dans quelque chose que nous aimons sans que nous sachions pourquoi, est vraiment excitant pour moi.

Dans votre film, beaucoup de choses ont changé en vingt ans, y compris la façon dont les gays draguent avec des applis comme Grindr. Pourtant, ce n’est pas comme ça qu’Ocho et Javi se rencontrent…

Oui, je pense que même si Grindr est formidable, ça a aussi quelque chose de terriblement insatisfaisant… Peut-être que c’est la vitesse à laquelle nous approuvons ou annulons les gens. Dans le film, on voit qu’après y avoir perdu du temps lors de sa première nuit à Barcelone, Ocho jette son portable et décide de se branler avant de se coucher. Donc je voulais que Grindr soit dans le film, mais je voulais que les personnages se rencontrent d’une manière plus old school, en se croisant dans les rues, parce qu’apercevoir quelqu’un vivre deux secondes est beaucoup plus révélateur que de lire un profil très complet sur Grindr.

Cette interaction très subtile entre le présent et le passé permet d’évoquer le sida et le changement de perception entre les années 1990 et aujourd’hui. C’était important pour vous ?

Pour moi, et je ne pense pas me tromper en parlant de ma génération, le fait d’être gay signifiait que tôt ou tard on mourrait de façon effrayante du sida. Le sida, et son sentiment de décomposition et de mort, était très présent dès mes premières rencontres sexuelles. Lors d’un voyage à Londres dans les années 1990, j’ai rencontré quelqu’un dans un club, et il m’a demandé si je voulais aller chez lui. J’ai dit oui, et quand nous sommes arrivés à sa maison (qui était très loin, nous avons pris des bus et des bus), on était nus sur son lit, il m’a annoncé qu’il était séropositif. J’ai pensé : « C’est maintenant que tu me le dis ? ». Mais mon désir était plus fort que mon bon sens (ni la première ni la dernière fois!), et j’ai quand même couché avec lui, avec des préservatifs néanmoins. À ce moment-là, les gens disaient qu’il y avait une chance que le sida puisse être transmis par une fellation si on avait une lésion dans la bouche : alors la semaine suivante, quand j’ai eu une forte grippe, seul dans une chambre d’hôtel humide à Amsterdam, j’étais sûr que j’avais attrapé le sida. Tout d’un coup, j’avais un poids en moins sur les épaules: puisque j’avais le sida, je n’avais plus besoin de m’inquiéter à ce sujet plus longtemps… Le test a fini par me révéler que j’étais toujours séronégatif, mais le sida (ou mon idée du sida) a toujours été présent dans toutes mes rencontres sexuelles occasionnelles.

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Une autre évolution que vous pointez est celle de l’homoparentalité entre ces deux périodes…

Je suis père de deux enfants, et c’était impensable pour moi il y a vingt ans : des enfants sans mère ! Comme c’est cruel !… Etre un père homosexuel est un sentiment puissant parce que j’ai l’impression de toujours faire des choses pour la première fois : toutes les applications et les services pour bébés sont destinés aux femmes, donc en tant que père gay, vous jouez constamment le rôle traditionnel d’un père et d’une mère en même temps. C’était naturel d’ajouter cette dimension au personnage de Javi.

Fin de siècle, de Lucio Castro, avec Juan Barberini, Ramon Pujol… En salles le 23 septembre.

Le 20 septembre 2020 à 18h, avant-première lors de la soirée de clôture du festival Vues d’en face au Cinéma Le Club, 9 B rue du Phalanstère-Grenoble / 04 76 87 46 21 www.vuesdenface.com

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