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Accros aux crocs : la station-service

La station-service s’étendait le long d’une route déserte et poussiéreuse comme il y en avait tant sur cette île méditerranéenne esseulée.

Il l’avait repérée plusieurs années auparavant, moins pour son relatif isolement que pour la falaise qui la surplombait et derrière laquelle disparaissaient de bonne heure les rayons du soleil, laissant place à une semi-obscurité chaude et moite à laquelle se mêlaient les effluves brûlants d’asphalte et d’essence. Il était arrivé là à pied, sans même éveiller la curiosité du vieil homme assis sur un siège en plastique autrefois blanc, dos à la structure de tôle et de bois qui servait de caisse et de toilettes. Les deux pompes, distantes de quelques mètres, étaient aussi indifférentes l’une à l’autre que pouvaient l’être deux statues ornant les montants latéraux du portail d’une propriété patricienne romaine. Il se dirigea vers la gauche et entreprit de faire le tour du cabanon, en direction des toilettes. D’ici, la route n’était plus visible et seule une bande de terre en friche, plantée de quelques figuiers oubliés de tous, séparait encore la station-service des contreforts de la falaise rocheuse. 

 

 

Gaetano était là comme prévu, adossé au mur et retenant son souffle. Comme à chacune de leur rencontre, Galaad arbora un sourire satisfait à la vue de son corps. Changeant, vieillissant, soumis aux outrages du temps et pourtant terriblement vivant, alors que le sien était à jamais figé dans une fermeté et robustesse qui lui semblaient bien moins la trace d’une jeunesse éternelle que les stigmates pétrifiés de la mort. Il s’approcha de cet amant qu’il connaissait par coeur, saisit entre ses mains le léger bourrelet qui se formait d’années en années sur ses hanches et qu’il aimait tant et lui murmura à l’oreille les quelques vers d’une chanson qu’il avait l’habitude de lui chantonner à chacune de leurs rencontres : “Amore mio, hai già mangiato o no ? Ho fame anch’io e non soltanto di te”. Gaetano retint un léger gémissement lorsqu’il sentit le souffle de Galaad sur le lobe de son oreille. Il pencha la tête sur le côté, s’offrant ainsi à l’appétit de son partenaire. La peau de son cou craqua légèrement sous la pression des canines, déclenchant un excitant frisson de douleur. Un gros bouillon de sang, aux notes d’olive et de sel, emplit alors la bouche de Galaad qui se mit à sucer avidement la gorge enchanteresse de Gaetano. La peau de ce dernier était désormais perlée de sueur, ses pectoraux se soulevaient de plus en plus vite au rythme de sa respiration haletante, sa chemise fine collait à son dos. Il se tenait cambré contre le mur, humide et tremblant de désir, sur le point de défaillir. “Ancora tu” murmura-t-il dans un souffle, et ce safeword qu’ils avaient coutume d’utiliser eut pour effet de faire disparaître Galaad dans la pénombre des figuiers, en direction de la falaise, et au-delà, de la mer. 

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