accros aux crocs sous-bois

Accros aux crocs : le sous-bois 

Depuis plusieurs semaines déjà, Galaad errait dans l’humidité insidieuse de ce sous-bois à bonne distance du premier hameau et des fourches menaçantes des paysans du voisinage.

Il avait toujours été plus aisé pour lui de chasser en ville. L’anonymat qui enveloppait les métropoles lui offrait des latitudes d’exécution qu’il ne retrouvait pas dans les campagnes. Ici, les populations étaient restées en connexion avec leur environnement et semblaient avoir compilé à travers les âges un savoir encyclopédique sur la vie sauvage, que sa simple présence venait troubler, attirant immanquablement l’attention des villageois et provoquant l’effroi des enfants. 

Il était la bête, le croquemitaine, le loup des légendes et des contes et ici, la force du récit était restée si vive, si palpable, qu’elle submergeait toutes les tentatives de rationalisation aussi sûrement que la rivière les champs qui la flanquaient sur chaque rive lorsque fondaient les neiges d’altitude. 

C’était pourtant là, dans cette zone hostile où la mousse spongieuse qui recouvrait le sol étouffait chaque son comme dans un murmure de Beth Gibbons, où craquaient sous les pas les épines de pin tombées des arbres et où furetait sans cesse quelque reptile au milieu des genêts à la lisière des chemins, qu’il était venu expier son hybris. Comment avait-il pu encore une fois se mentir au point de croire que l’ivresse ne serait pas revenue ? Il jouait avec le feu en adoptant les codes de ces garçons sur les appli de rencontre : il avait pratiquement réussi à se persuader qu’il atteindrait la satiété en même temps qu’eux, la jouissance. Or, s’arrêter à la satiété nécessitait d’être guidé par la raison. S’il pouvait périodiquement réfréner ses pulsions de mort, il ne pouvait brider éternellement le monstre qui grondait en lui, assoiffé de sang, de beauté et de vie. Ses soubresauts bestiaux lui conféraient d’ordinaire une aura de marginal mystérieux qui ne manquait pas de le rendre désirable aux yeux des citadins. Mais c’est face à lui-même qu’il se retrouvait après les dérapages comme celui des ruines du théâtre antique, et le visage qu’un tel déchainement de violence lui renvoyait lui était intolérable. Il valait mieux se terrer dans l’humus verdâtre.

Couché derrière un tronc d’arbre recouvert de lichen gisant sur le sol, le corps en partie recouvert de feuilles mortes oscillant entre l’ambre et le marron, il gardait le regard fixé sur cette cathédrale de branches qui s’élevait vers le ciel. L’aspect de la voûte céleste semblait refléter l’état de son âme et cette symbiose des éléments et de ses sentiments lui évoqua une autre cathédrale, à des centaines de kilomètres de là, où il avait entendu, à des siècles de là, la musique raffinée et délicatement subversive d’Alessandro Scarlatti. Torbido, irato e nero.

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