Dans son dernier ouvrage I Love Porn, Dider Lestrade explore le passé et le présent du porno, genre cinématographique qu’il élève au rang de grand art.

I Love Porn : à la recherche du porno perdu

Dans son dernier ouvrage I Love Porn, le fondateur d’Act Up Paris et de Têtu, Didier Lestrade explore, avec autant de passion que d’érudition, le passé et le présent d’un genre cinématographique qu’il élève au rang de grand art.

Vite consommé, vite oublié ? À l’heure des tubes gigantesques compilant des millions de vidéos souvent dépourvues de tout contexte, Didier Lestrade prend le contre-pied d’une tendance lourde à ne voir dans le porno qu’un outil de satisfaction immédiate, dédaigné comme un vieux kleenex usagé sitôt son historique de navigation purgé. Son dixième livre, au titre explicite, rend hommage à un domaine qu’il considère aussi important dans sa vie que la musique et le militantisme. Si les porn studies se sont considérablement développées ces dernières années, même en France, l’infatigable activiste de la lutte anti-sida rejette délibérément toute approche universitaire au profit d’un texte à la fois érudit et très personnel, nourri par une longue fréquentation du genre. On revisite ainsi avec lui les évolutions du porno gay au fil des décennies, comment il s’est adapté à l’épidémie de sida, quels liens il entretient avec le porno hétéro et comment il contribue à changer la société. Car Lestrade en est convaincu : l’influence du porno, gay en particulier, n’est pas toujours aussi néfaste qu’on le dit souvent. Dans les débats actuels sur la fétichisation des hommes racisés au sein des communautés gays, il prend par exemple position en affirmant que « le porno interracial n’est […] pas uniquement motivé par une attraction “exotique” malsaine » mais qu’il peut aussi, lorsqu’il est bien fait, aider des communautés éloignées à mieux se comprendre et mieux se désirer – une sorte d’« amour révolutionnaire » qui transcenderait les barrières raciales.

Par tous les trous… de mémoire

I Love Porn, qui s’intéresse largement aux dernières évolutions et même à ce qui pourrait représenter l’avenir du porno gay, ne constitue pas à proprement parler une histoire du genre. Pourtant, quelques-unes de ses plus belles pages sont celles où Lestrade, qui a lancé en 2021 une pétition en ligne réclamant l’ouverture d’un centre d’archives LGBT à Paris, ressuscite la mémoire de figures particulièrement marquantes. C’est le cas de l’acteur Al Parker, mort du sida en 1992, des studios pionniers, comme Colt ou Falcon (respectivement fondés en 1967 ou 1971), ou encore, côté français, du réalisateur Jean-Noël René Clair. On ne peut alors faire autrement que se demander, avec l’auteur, pourquoi ces noms, à l’inverse de ceux d’artistes ou d’activistes, sont si peu présentés, discutés et pourquoi pas débattus dans la mémoire collective gay. Cet oubli rend d’autant plus nécessaire la réappropriation par les gays des discours sur leur(s) sexualité(s) et leurs désirs, une tâche à laquelle I Love Porn, sans éluder les problématiques éthiques que pose le porno gay, offre une contribution plus que bienvenue.

À lire
I Love Porn de Didier Lestrade (Éditions du Détour). En librairies.

Et aussi
www.didierlestrade.com
www.change.org/p/pour-un-centre-d-archives-lgbtqi-sida-en-ile-de-france

 

 

 

 

 

 

 

 

© photo Nicolas Monier 

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