couvent

Accros aux crocs : le couvent 

Face à cet oranger majestueux planté dans l’angle du cloître, au milieu de simples colonnes d’ornement, Galaad n’était plus tout à fait sûr de ne pas avoir précipité la fin de sa retraite sylvestre.

Il avait choisi ce couvent à l’abandon comme sas de sécurité avant de se mêler à nouveau complètement au bouillonnement de ses proies et de réveiller les pulsions contre lesquelles il lui faudrait immanquablement lutter. Comme c’était le cas pour de nombreux palais de la ville, la déliquescence du bâtiment semblait souligner le lustre passé, rehaussant par touches subtiles une grandeur dont les traces paraissaient ne pas vouloir disparaitre tout à fait. 

Adossé au mur, il laissa son regard se perdre sur la mosaïque bleue et jaune hypnotique et répétitive, usée par le frottement régulier des pas de la congrégation qui avait un temps occupé ce couvent et s’attarda quelques instants sur les cellules de l’étage supérieur, celles aux larges baies vitrées autrefois réservées aux nonnes de bonne famille, qui s’ouvraient sur un petit balcon privatif et offraient un panorama sur les toits de la ville. Grâce à cette vue, ces riches héritières entretenaient sans doute l’illusion de conserver quelque vestige de privilège du monde extérieur dont l’accès leur était pourtant tout autant interdit désormais qu’à leurs coreligionnaires de basse extraction. Ce couvent-là avait été l’un de ceux dont on ne ressortait pas, même occasionnellement. Les femmes y vivaient en communauté cloîtrée, coupées des plaisirs de la ville par d’épais murs et d’inextricables grilles, par choix et piété rarement, en châtiment de quelque acte de rébellion à l’ordre patriarcal le plus souvent. 

Galaad connaissait l’histoire de ce couvent et les événements qui avaient précipité sa perte et sa damnation. Un soir, une jeune fille s’était présentée à la porte, gracile et diaphane comme une Vierge de Botticelli. Après s’être entretenue avec la mère supérieure, elle avait été enfermée dans une cellule sans fenêtre, froide et austère. Mais au cœur de la nuit, une étrange procession s’était formée sur son seuil, la jeune fille avait été tirée de son lit de fortune et traînée de force dans le couloir. L’avide concupiscence des religieuses ne leur avait cependant pas permis de se rendre compte que la jeune fille aux traits si délicats offrait bien peu de résistance. Dans la salle du réfectoire couverte de boiseries ouvragées et de grands crucifix, les lourdes tables de chêne servaient d’estrades aux sœurs qui s’adonnaient par groupe de trois ou quatre aux voluptés saphiques. Sous les soutanes retroussées, s’humidifiaient les cuisses, les lèvres et les doigts agiles. Lâchée dans cette bacchanale, la beauté éthérée, l’œil soudainement incandescent, se fit animale et se mit à prodiguer ses baisers enflammés parmi chaque groupe, déchirant les seins, sectionnant les artères, étouffant les râles, jusqu’à ce que la dernière goutte de sang de la congrégation ne tombe sur le sol devenu visqueux.

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