Mark Ravenhill, Martin Crimp : acide Albion

La Grande-Bretagne nourrit en son sein un vivier d’auteurs de théâtre qui, d’Harold Pinter à Edward Bond en passant par Sarah Kane, porte un regard critique sur le monde et interroge le fonctionnement de la société occidentale. En juin, deux d’entre eux seront à l’honneur sur les scènes lyonnaises : Martin Crimp et sa République du bonheur aux Subsistances et Mark Ravenhill et sa série de courtes pièces, présentée sous le titre War and Breakfast par les étudiants de l’ENSATT.

Si le théâtre allemand connaît un vif succès auprès du public français ces dernières années, l’acuité du théâtre britannique contemporain n’a rien à lui envier. Ainsi, à l’heure où l’Europe semble incapable de dessiner les contours d’un nouvel ordre mondial, c’est de la nation souvent considérée comme la moins europhile qu’émerge un théâtre qui interroge une puissance occidentale sur le déclin, perdue face à un capitalisme mondialisé qui étouffe toute alternative dans l’œuf. Deux mises en scènes de pièces des dramaturges britanniques Mark Ravenhill et Martin Crimp devraient permettre en juin aux spectateurs lyonnais de se faire une idée de la vivacité de cette écriture théâtrale.

Aux Subsistances, Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo, tous deux membres du Théâtre des Lucioles (collectif d’acteurs créé en Bretagne en 1994), mettent en scène Dans la République du bonheur de Martin Crimp. Dans cette pièce qui date de 2012, l’auteur cherche à cerner la part de liberté qui reste à l’individu dans une société globalisée telle que la nôtre. Partant de la cellule familiale pour peu à peu élargir le cercle à l’Occident dans son ensemble, Crimp dénonce la mainmise du capitalisme sur l’exigence de bonheur qui semble guider la vie de tout un chacun.

L’individu, malgré ses singularités, se trouverait tiraillé entre sa volonté d’être libre et indépendant et son besoin d’appartenance à un groupe. Cela le conduirait alors à adopter des attitudes qui, loin de le rendre unique, le pousseraient inlassablement dans un moule dont il ne parviendrait pas à s’extirper. Dans cette vision assez pessimiste du monde, l’individu n’aurait que l’illusion du libre-arbitre, prisonnier des désirs que le capitalisme lui aurait fournis.

Jus d’oranges amères

Dans le cadre des Nuits de Fourvière, les élèves de la soixante-treizième promotion de l’ENSATT, sous l’impulsion de Jean-Pierre Vincent et de Bernard Chartreux, proposeront War and Breakfast, un recueil de courtes pièces écrites par Mark Ravenhill en 2007 à l’occasion du Festival d’Edimbourg. Fortement marqué par les années de thatchérisme et par l’implication du Royaume-Uni dans la guerre en Irak, Mark Ravenhill a imaginé cette série de textes, initialement joués indépendamment les uns des autres, chaque jour du festival à l’heure du petit-déjeuner, comme autant d’attaques contre un monde occidental imbu de lui-même et justifiant ces exactions au nom de la liberté et de la démocratie.

War and Breakfast mark ravenhill heteroclite lyon nuits de fourviere copyright Loll Willems (2)

Sous des titres qui évoquent les grandes œuvres du théâtre européen, Mark Ravenhill donne corps à des saynètes souvent triviales qui mettent en lumière les vices de la bourgeoisie occidentale. Bien que peu optimistes, ces deux visions du monde devraient néanmoins offrir une réflexion intéressante à tous ceux qui ne s’accommodent pas de la marche actuelle du monde en général et de l’Europe en particulier.

 

Dans la République du bonheur de Martin Crimp du 10 au 14 juin aux Subsistances, 8 bis quai Saint-Vincent / 04.78.39.10.02 / www.les-subs.com
War and Breakfast de Mark Ravenhill, du 16 juin au 4 juillet au théâtre Laurent Terzieff – ENSATT, 4 rue Sœur Bouvier-Lyon 5 / 04.72.32.00.00 / www.nuitsdefourviere.com

 

Photos : War and Breakfast © Loll Willems

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