Edmund White Spirit

Edmund White signe avec City Boy sa deuxième autobiographie, un récit érudit et tendre sur le New-York intellectuel des années 60 et 70. Rencontre avec un monument de la littérature gay.

Edmund WhiteL’amitié occupe une place importante dans City Boy, plus que dans vos autres livres. Vous dites : «l’amour est une source d’angoisse avant d’être une source d’ennui, seule l’amitié nourrit l’âme».

Edmund White : J’écris des romans. Les romans parlent plus souvent d’amour, de grande passion. L’amitié est un sentiment plus froid, moins dramatique. Comme je voulais, avec City Boy, écrire des mémoires, je me suis accordé le droit de décrire les choses telles qu‘elles se sont passées dans ma vie. Et en l’occurrence, l’amitié a toujours été pour moi une plus grande source de satisfaction que l’amour.

Vous avez eu comme amis Nabokov, Susan Sontag, Foucault, Truman Capote : on imagine que vos amitiés ont été essentiellement intellectuelles ?

Edmund White : Non, pas vraiment en fait. C’est même l’inverse à vrai dire. Avec mes amis, je veux pouvoir être silly, comme on dit en anglais : créatif sans but, comme le sont les enfants. Foucault, par exemple, détestait les conversations intellectuelles ! Il n’échangeait sur des idées «sérieuses» qu’avec ses étudiants. Avec lui, je parlais de cul, de garçons, de notre enfance…

Comment avez-vous rencontré Michel Foucault ? Vous dites avoir eu un désaccord avec lui sur la question de «l’identité gay». Foucault considérait qu’affirmer une identité gay relevait d’une «culture de l’aveu» héritée de la confession chrétienne.

Edmund White : Michel Foucault était un ami merveilleux. Je l’ai rencontré alors que je m’occupais du New York Institute for Humanities, il était régulièrement notre invité. Ensuite, quand je suis arrivé à Paris, nous sortions ensemble. En copains, je veux dire, car je n’étais vraiment pas son style (rires) ! En ce qui concerne la question de l’identité gay, c’est vrai que nous étions en désaccord. Je ne dis pas que notre sexualité constitue la totalité de notre identité, mais je pense que ce que nous désirons est essentiel à ce que nous sommes. Je cite Nietzsche dans City Boy, qui dit : «à quoi croit-on plus fermement aujourd’hui qu’à son corps ?». Et puis je pense que l’oppression appelle toujours un rassemblement, d’où l’importance d’affirmer une identité commune.

Donc cela ne vous embête pas d’être considéré comme le «pape» de la littérature homosexuelle ? Quels sont les écrivains gays que vous admirez ?

Edmund White : Il faut bien avoir une niche (rires). Mon ami John Irving est très gentil ; dans la préface de City Boy, il encourage les lecteurs hétéros à lire mon livre, il veut élargir mon public ! Et je pense sérieusement que je peux écrire des choses qui peuvent intéresser aussi les hétéros. Actuellement, le meilleur écrivain gay est Allan Hollinghurst, un fabuleux romancier qui a gagné le prix Bookprice, l’équivalent du Goncourt. Et pour les écrivains du passé, j’hésiterais entre Isherwood et Proust.

Vous êtes toujours très élogieux à l’égard des Français. Mais y a-t-il des choses que vous n’aimez pas chez nous ?

Edmund White : La pédanterie (il éclate de rire). Je rigole quand je vais dans les musées en France, les gens restent cloués devant les plaquettes explicatives au lieu de regarder les tableaux ! Il y a ce côté un peu «étudiant modèle» chez les Français, mais avouez que ce n’est pas le pire des défauts !

Vous dites que les Français on besoin d’éprouver de la curiosité intellectuelle pour converser.

Edmund White : Oui, oui, c’est vrai, les Français ne se forcent jamais à parler aux gens qui ne les intéressent pas ! Et je parle d’intérêt intellectuel, pas professionnel. D’ailleurs la langue française distingue très finement amitié, connaissance, ami, contact, relation. Il y a tous ces grades importants qui sanctionnent des étapes de la relation. Les Américains utilisent le mot friend à tout va, ce qui brouille les repères entres vie privé et vie professionnelle.

Vous êtes un amoureux de Paris, vous l’écrivez à longueur de livres. Vous connaissez Lyon ?

Edmund White : Oui, je suis allé il y a des années à Lyon pour rencontrer Pina Bausch. Je suis resté dix jours à poireauter dans la ville, car il était très dur d’entrer en contact avec elle. Et puis, l’éditeur de Genet habitait à Lyon, et j’avais aussi un petit ami qui était Lyonnais d’origine. Que vous dire d’autre, Lyon est une ville très secrète, non ?

City Boy d’Edmund White (éditions Plon)

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